Le FMI dénonce les inégalités aux Etats-Unis
Le Covid-19 a creusé un fossé au sein de la population américaine. Dans un rapport, le FMI affirme que le pays est enfoncé dans la récession et lui recommande de prendre des mesures pour consolider la reprise. Washington n’apprécie pas ce rapport critique
Les Etats-Unis traversent un choc économique et social sans précédent. Une longue période de croissance a subitement déraillé. Le confinement lié au Covid-19 était certes nécessaire pour protéger la santé humaine, mais le prix à payer est énorme. A ce jour, 163000 Américains ont succombé à la maladie et 15 millions de travailleurs ont perdu leur emploi. Malgré de nombreuses mesures prises par Washington, ces prochains mois s’annoncent d’ores et déjà difficiles. Plus particulièrement pour les pauvres et les minorités noires et hispaniques qui ont été frappés plus sévèrement que le reste de la population.
C’est en ces termes que le Fonds monétaire international (FMI) vient de dresser un état des lieux de l’économie américaine dans le cadre de son exercice consistant à passer en revue la situation économique de ses pays membres. Publié lundi soir, le rapport confirme que l’économie américaine est entrée en récession. Le produit intérieur brut (PIB) régressera à -6,6% pour 2020, par rapport à 2,3% l’an passé. Autre indicateur qui ne trompe pas: le taux de chômage atteindra cette année la barre de 9% alors que, l’an passé, il était de 3,9%.
Précarité grandissante
«Plus vulnérables, les familles pauvres s’enfoncent dans la précarité, avertit le rapport. La pandémie met en effet en lumière le fossé qui se creuse entre les familles blanches, noires et hispaniques.» Ainsi que le taux de chômage pour 2020 est estimé à 15,4% pour les Noirs et à 15,5% pour les Hispaniques, contre 11,1% pour la majorité blanche. «Les travailleurs qui avaient un emploi déjà précaire ou qui n’avaient pas la possibilité de continuer à travailler à la maison pendant le confinement ont été les premiers à perdre leur emploi, relève Christopher Smart, stratège en chef du gérant d’actifs américain Barings. Ces derniers exerçaient notamment dans l’hôtellerie, la restauration ou encore les transports – des secteurs qui étaient paralysés pendant le confinement.»
Le FMI rappelle que les EtatsUnis comptaient déjà 38 millions de pauvres, soit 12% de la population, en 2018. Il relève aussi que les Noirs connaissent le taux le plus élevé dans la population carcérale et beaucoup d’entre eux n’ont pas d’assurance maladie. «Le sort de ces derniers restera une préoccupation et un défi pour
«L’économie américaine a été gravement touchée par la pandémie, mais aussi par les troubles civils» RICHARD BALDWIN, PROFESSEUR D’ÉCONOMIE INTERNATIONALE DE L’IHEID
l’économie américaine», ajoute le rapport.
La récession, l’explosion du chômage ou encore les inégalités ne signifient toutefois pas que le gouvernement américain est resté les bras croisés face à l’impact du Covid-19. Les experts du FMI mettent en exergue les nombreuses initiatives pour venir en aide aux entreprises et aux ménages ces derniers mois. Ils reconnaissent aussi les décisions de la Réserve fédérale américaine qui a maintenu le robinet du crédit grand ouvert en baissant le taux directeur et en rachetant la dette publique et privée.
L’institution financière internationale affirme toutefois que les Etats-Unis disposent encore d’une marge de manoeuvre en matière de politique fiscale pour aider l’économie. Selon Christopher Smart, les différentes mesures prises par Washington portent leurs fruits aujourd’hui. «Le verre est à moitié plein ou à moitié vide, c’est selon, dit-il. La reprise est là et même de façon plus rapide qu’attendu.» Et d’ajouter: «Regardons davantage vers l’avenir plutôt que les chiffres du passé. Les marchés qui anticipent déjà 2021 sont à la hausse.» Le stratège de Barings a désormais les yeux rivés sur le nouveau plan de relance promis par le président Trump, mais aussi sur l’évolution de la pandémie et sur l’éventuelle arrivée d’un vaccin sur le marché.
«L’économie américaine a été gravement touchée par la pandémie, mais aussi par les troubles civils – en particulier les manifestations de Black Lives Matter», réagit pour sa part Richard Baldwin, professeur d’économie internationale de l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève. Le choc économique initial, induit par le verrouillage national, a été aussi grave aux Etats-Unis qu’en Europe. Mais le blocage n’a pas permis de maîtriser le virus. Le nombre de nouveaux cas n’est jamais descendu en dessous de 20000 par jour, si bien que lorsque l’économie a commencé à s’ouvrir, le taux d’infection a grimpé en flèche.»
Un rapport qui ne plaît pas
Selon lui, le retour à la normale n’est vraiment pas pour demain. «Etant donné le manque de cohésion nationale, l’incohérence des dirigeants et le manque général de confiance dans les autorités, il me semble probable que le virus obligera les gens et les autorités à restreindre les activités économiques pendant encore un an environ, analyse-t-il. Résultat, la récession américaine sera probablement plus longue qu’en Europe ou en Suisse.»
Publié à moins de trois mois de l’élection présidentielle, le rapport du FMI ne plaît pas aux Etats-Unis. Mark Rosen, leur représentant au Fonds, lui reproche de faire état de perspectives trop pessimistes et l’accuse même d’outrepasser son rôle en demandant à Washington de repenser son économie. Il n’a pas apprécié non plus que l’institution dont les Etats-Unis sont le premier actionnaire s’intéresse aux questions des inégalités, disant que «cette dynamique nuit à l’utilité et à l’impact du rapport».
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