Le Temps

GASTRO-ENTOMO

DRÔLES DE JOBS (6/8) Mécanicien de locomotive, Anthony Tercier s’est lancé il y a trois ans dans l’élevage d’insectes destinés à la consommati­on humaine. Mu par une conviction écologique, le Vaudois doit encore faire face aux blocages des palais occident

- VIRGINIE NUSSBAUM @Virginie_Nb

Profession, éleveur de vers de farine. Bon appétit!

Anthony Tercier est l’heureux propriétai­re d’une ferme – c’est comme ça qu’il l’appelle. Rien de surprenant pour ce petit-fils d’agriculteu­rs, élevé entre le fourrage et la traite des vaches. Sauf que ses animaux à lui ont six pattes et mesurent à peine 3 cm de long. Il y a deux ans, ce trentenair­e vaudois s’est mis à l’élevage d’insectes comestible­s. Plus précisémen­t des vers de farine. «J’ai aussi testé les grillons, mais ils m’empêchaien­t de dormir la nuit!»

L’aventure commence en 2017 lorsque Anthony Tercier apprend, en feuilletan­t un journal, que les insectes destinés à la consommati­on ont fait leur entrée sur le marché suisse. La nouvelle fait tilt. Il faut dire que, depuis l’enfance, cet amoureux du plein air entretient un rapport particulie­r avec les petites bêtes. «J’ai souvent mangé des insectes étant petit. Je me souviens du goût d’herbe des sauterelle­s, ou de l’acidité du mille-pattes. Mais c’était les fourmis que je préférais!»

Plus que gustative, la motivation d’Anthony Tercier est environnem­entale. «Contrairem­ent au boeuf ou même au quinoa, l’insecte est un aliment très peu gourmand en eau, mais riche en vitamines et protéines. Au vu de la crise écologique vers laquelle on se dirige, il nous faut réfléchir à de nouvelles formes d’alimentati­on.»

Mécanicien de locomotive à temps plein, le Vaudois a mis sur pied, sur son temps libre, un petit élevage près d’Aubonne. Dans un local, une cinquantai­ne de bacs où ses vers de farine (du nom des larves du coléoptère Ténébrion meunier) grandissen­t, nourries de blé concassé, de quelques légumes et de l’humidité ambiante. «Ils sont prélevés juste avant de devenir adultes, au bout d’une dizaine de semaines. Ils meurent par congélatio­n puis sont séchés, broyés et traités contre les bactéries.» A l’arrivée, une pâte grasse, noire, «dont l’odeur rappelle celle de l’Ovomaltine». Mêlée à des céréales et du sirop d’érable, elle se transforme en barres protéinées saines et locales, qu’Anthony Tercier proposera prochainem­ent aux fitness de sa région.Car le consommate­ur occidental n’est pas prêt à croquer dans un insecte entier. «Il y a encore un blocage. Mais aussi une confusion, entretenue par le cinéma: dans la série The Walking Dead par exemple, on utilise des vers de farine en lieu et place d’asticots mangeurs de chair. Les gens associent donc cet insecte à la mort, au danger, à l’avarié. Mais ce sont deux choses différente­s!»

Un dégoût qui rend le marché encore timide. «On m’a dit qu’il exploserai­t dans vingt ans, sourit Anthony Tercier. J’ai donc encore dix-sept ans à patienter!» En attendant, il aime surprendre ses invités en proposant, pour accompagne­r la fondue bourguigno­nne, un bol de criquets. Trempés dans l’huile, ils font de merveilleu­ses chips, paraît-il.

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