Dans les romans et les films, la catastrophe châtie
DÉSASTRES EN FICTIONS (6/8) Le séisme qui ravage une ville ou la tour qui flambe illustrent souvent les conséquences de mauvais choix politiques ou économiques. La fiction reflète bien les représentations sociales des calamités
«Le traumatisme gît désormais au coeur de la culture occidentale», écrit, en parlant de la médiatisation du 11 septembre 2001 et du tsunami de 2011, l’historien genevois François Walter dans Catastrophes, une histoire culturelle (Seuil). Du XVIe siècle à nos jours, l’expert dresse le panorama de la perception sociale des désastres en voulant nuancer le schéma souvent avancé: une période où le fléau est punition divine, une ère (avec les Lumières) du fatalisme, et notre époque où domine la recherche de boucs émissaires. La manière dont les catastrophes ont été vécues et contées se révèle plus complexe, avertit l’historien. Par exemple, la lecture providentielle – l’événement répond à une volonté, le plus souvent le châtiment – a perduré bien après le rayonnement des Lumières.
Qu’en est-il de notre culture populaire récente? On pourrait hasarder qu’elle réunit les trois phases classiques, en même temps. Les premiers romans catastrophistes font planer une volonté supérieure, divine ou autre. Dans les années 1970, quand le genre s’établit, un film tel que Tremblement de terre pose le drame comme une fatalité. Seuls comptent son spectacle et la réaction des victimes. La même année, La Tour infernale se termine, elle, sur une morale sévère à l’égard des dérives des urbanistes et architectes, pris dans une spirale du toujours plus haut.
De fait, l’alarmisme écologiste en fictions n’a pas attendu les manifestations pour le climat des années 2010. Dès la décennie 1960, avec les puissants romans de John Brunner sur la surpopulation et la pollution, ont foisonné les histoires particulièrement critiques. La plus radicale est sans doute Soleil vert, roman de Harry Harrison puis film de Richard Fleischer, dénonciation glaçante d’une société future qui fait de l’humain une ressource jusqu’au bout.
Dans le détail, on peut noter que le film catastrophe a vite thématisé le dilemme économique, devenu un pilier du genre. Pensons à ces personnages de maires (dès
Les Dents de la mer, au moins) ou de promoteurs immobiliers (entre autres, dans
Le Jour de la fin du monde) qui s’obstinent à vouloir faire marcher les affaires alors que plane la menace naturelle. Un poncif qui parle toujours. Le 3 juin dernier, quand l’Italie a ulcéré ses pays voisins, dont la Suisse, en ouvrant ses frontières, on aurait cru à une scène typique du film catastrophe: l’un rouvre les plages pour relancer le tourisme, les autres crient à l’imprudence.
L’usage du cataclysme à des fins de dénonciation des dérives collectives est condensé dans Le Jour d’après, de Roland Emmerich en 2004, qui s’inspire de l’hypothèse d’un dérèglement climatique tournant à une nouvelle glaciation. Le mea culpa final du président américain (réfugié au Mexique, c’est dire!) résume l’orgueil qui a conduit au saccage de la planète – ici, le malheur a valeur de sanction.
On a vu récemment d’autres manières d’empoigner le fléau. En 2016, Earthquake, blindé au niveau du pathos, dépeint le tremblement de terre en Arménie de 1988 pour s’attacher aux survivants et à l’aide internationale.
La même année en Corée du Sud, le savoureux Tunnel, de Kim Seong-hun, raconte le calvaire d’un jeune cadre pris dans l’éboulement d’un récent ouvrage. On commence par sourire face aux pieds nickelés qui forment les escouades de sauveteurs, avant que le film n’évolue vers la fable d’une quasi-faillite collective, avec des ministres obnubilés par leurs plans de com.
Un usage narratif qui inspirerait les Libanais d’août 2020. La catastrophe sert à bien des desseins.