Brigitte Schneider-Bidaux, au chevet des auteurs de violences
CE N’EST PAS PARCE QU’UN PARENT EST VIOLENT ENVERS SON CONJOINT QU’IL N’AIME PAS SES ENFANTS
AVOCATS DU DIABLE (4/5) Elle préside une association qui vient en aide aux agresseurs. Car il faut tenter de comprendre leur attitude pour l’endiguer: c’est là tout ce qui occupe cette Genevoise à la force tranquille
Elle désinfecte les chaises en s'excusant, «Covid oblige», et balaie la pièce du regard. Au fond, contre la vitre opaque, quelques crayons de couleur patientent sur une table d'enfant. Brigitte Schneider-Bidaux nous reçoit dans une salle de consultation psychothérapeutique destinée aux familles dont un membre est auteur de violences. C'est le coeur du travail de l'association qu'elle préside: Vires, fondée en 1994 à Genève, oeuvre à l'accompagnement de personnes aux prises avec des violences domestiques mais aussi interpersonnelles et urbaines. Son centre de psychothérapie a suivi 112 personnes en 2019, en majorité des hommes, tous âges confondus. «Précisons que les hommes n'ont pas l'apanage de la violence», pointe-t-elle, souriante et ferme à la fois.
L'ancienne infirmière scolaire et femme politique – membre des Verts genevois, elle a occupé un siège au Grand Conseil durant huit ans – dégage une force sereine. Une impression que l'on retrouve d'ailleurs déjà dans le portrait que lui a consacré Le Temps lorsqu'elle avait accédé à la présidence de son parti, en 2004: «Peu encline à être très médiatique, elle est davantage une femme de dossiers et de suivi qu'un tribun.» Engagée dans d'autres associations comme le Collectif de soutien aux sans-papiers, membre du Conseil municipal de Troinex où elle réside, Brigitte Schneider-Bidaux aime prendre part au débat public et cultive le souci d'autrui. Et ça ne date pas d'hier. «J'ai toujours su que je voulais être infirmière», affirme-t-elle. N'a-t-elle jamais songé à autre chose? «Non.» Elle ne sourcille pas, l'air amusé.
Fille d'un père agriculteur et d'une mère enseignante, tous deux engagés dans diverses activités associatives, ses premiers «petits boulots» consistent à récolter les pommes de terre ou cueillir les fraises. «J'étais une fille de la campagne, je rêvais d'indépendance.» De l'école obligatoire à l'Ecole de culture générale, elle file ensuite jusqu'au diplôme d'infirmière, sésame qui lui ouvre les portes d'une profession au sein de laquelle elle exerce «plus de dix métiers différents», résume-t-elle. Urgences, soins intensifs, formation en santé publique, soins à domicile… Elle touche à (presque) tout, y compris en Suisse alémanique, à Zurich, où elle travaille durant six ans avant d'investir le milieu scolaire. Elle dédiera vingt années à ce dernier, jusqu'à sa retraite anticipée. Là, elle panse les bleus des élèves, aussi bien au corps qu'à l'âme.
«Vous savez, j'en ai vu, de la violence. Nous vivons dans une société très dure: avoir sous les yeux, à la télé, des gens aisés qui habitent des villas luxueuses alors que vous vivez dans un petit appartement en ville, c'est une forme de violence. Même si symbolique.» Elle renverse la tête, souvent, pour réfléchir. Elle se rappelle ces retours du travail, des histoires lourdes sur le coeur, et l'impossibilité d'en parler. «Cuisiner et jardiner marchent bien pour évacuer.» Chaque mot est pesé avant de franchir le seuil de ses lèvres.
«C'est dans le cadre de mon métier que je me suis intéressée au traitement des auteurs de violences. Il y a de nombreuses associations qui s'occupent des victimes, c'est essentiel, mais la loi qui entrera en vigueur le 1er juillet [loi fédérale sur l'amélioration de la protection des victimes de violence] stipule bien qu'il faut aussi se soucier des auteurs. C'est important, car la violence est tellement complexe. Il s'agit de comprendre pourquoi elle a émergé, pourquoi on se sent acculé et qu'on ne peut réagir autrement. Et réfléchir à ce qu'il faut mettre en oeuvre pour ne pas qu'elle se reproduise.»
C'est donc sans trop d'hésitations que Brigitte Schneider-Bidaux accepte, en 2012, de reprendre la présidence de Vires à la demande de sa prédécesseure Marie von Arx-Vernon, décédée récemment. «On s'était rencontrées au Grand Conseil. Elle m'a fait confiance… Je me suis dit que c'était un beau challenge et qu'il avait du sens pour moi.» Pour mesurer ce que ce «challenge» recouvre, il faut savoir que parmi les auteurs de violence, certains sont envoyés sous contrainte judiciaire (46 sur 112 en 2019) et ne comprennent pas pourquoi ils doivent consulter un psychiatre. «Les réticences font partie du traitement. On soumet ces personnes à l'injonction d'être suivies, d'effectuer un travail sur elles-mêmes, mais elles ne se pensent pas malades... C'est toute la difficulté.» Il y en a qui pourront cesser les séances après quelques mois; d'autres reviendront plusieurs années durant.
A la question de savoir si prendre soin de «ceux qui font mal» lui a déjà valu quelques commentaires, la réponse est non. Tant mieux. En revanche, «travailler avec les services de protection de la jeunesse est compliqué, bien qu'indispensable. Lorsqu'un père violent quitte le domicile ou qu'une maman va dans un lieu d'accueil, les enfants n'ont plus accès au parent qui est parti. Il y a des visites médiatisées mais la liste d'attente est longue, donc, dans la réalité les familles finissent par se voir quand même. Il faudrait réfléchir à une manière de préserver ces liens, car ce n'est pas parce qu'un parent agresse son conjoint qu'il n'aime pas ses enfants», relève-t-elle.
Un combat au jour le jour qui n'est possible que «grâce à une équipe motivée et très professionnelle», souligne Brigitte Schneider-Bidaux. Une femme qui valorise ses collaborateurs et porte haut cette conviction que l'enfant doit pouvoir accéder à ses deux parents. C'est la raison pour laquelle elle avait entrepris, en 2010, une formation en protection de l'enfance et cite la date de ratification de la Convention relative aux droits de l'enfant par la Suisse, en 1997, comme un moment marquant de son parcours.
Le traitement médiatique grandissant des violences, surtout domestiques, représente un bon signe pour celle qui a milité, «très jeune», au sein de mouvements féministes. «Cela veut dire qu'on peut en parler. Toute chose taboue ou cachée permet des abus. L'exprimer, l'exposer, c'est une façon de faire de la prévention.» La présidente de Vires veut croire à une suite positive, à «une société moins violente», mais elle restera énigmatique quant à la durée de son mandat.
Souvent, le matin, en promenant son berger australien, elle marche aux abords des écoles dont elle occupait les infirmeries. Ces espaces de confidence qui lui valent parfois un sourire reconnaissant d'anciens écoliers croisés au hasard d'une rue. «J'y pense souvent, tous les jours même, mais ça ne me manque pas», analyse-t-elle d'un ton posé. Bien sûr, car elle a encore des causes à défendre.