UPC-Sunrise: le consommateur gagnant, vraiment?
En 2019, Sunrise n’avait pas réussi à racheter UPC à Liberty Global. Aujourd’hui, Sunrise accepte de se vendre au groupe américain et l’opération a de bonnes chances de réussir. Mais plusieurs questions se posent, notamment autour de Huawei
On a très envie de le croire, Mike Fries. Le directeur de la multinationale américaine Liberty Global, qui tente désormais de racheter Sunrise, est un bon vendeur. A l’origine de plusieurs fusions, le responsable assurait mercredi que «les meilleurs deals, ce sont ceux où tout le monde gagne. C’est le cas avec la fusion entre UPC et Sunrise. Et les plus grands gagnants, ce sont les consommateurs.»
De belles paroles, que la théorie soutient facilement. Aujourd’hui, Swisscom détient environ 60% du marché des télécoms, notamment parce qu’il possède un réseau fixe et mobile. En fusionnant le réseau mobile de Sunrise et le réseau fixe d’UPC, l’on assisterait à la naissance d’une société enfin capable de rivaliser avec l’opérateur historique.
Mais la théorie risque bien vite d’être démentie par la pratique.
D’abord, marier les technologies si différentes des deux promis prendra plusieurs années. Face à deux concurrents qui tourneront au ralenti, Swisscom aura tout loisir de lancer de nouvelles offres pour récupérer des clients, tant sur le marché privé que sur celui des entreprises.
Ensuite, la fusion, si elle aura le mérite de sauver un UPC en déclin, risque de couper les ailes de Sunrise, qui parvenait, trimestre après trimestre, à prendre des clients mobiles à Swisscom.
Troisièmement, la fusion risque fort de tuer le projet, annoncé en mai, de coentreprise entre Sunrise et Salt pour relier 1,5 million de ménages suisses en fibre optique. Libre alors à Swisscom, encore lui, d’avancer ses pions sur ce marché.
Quatrièmement, et c’est encore un point à l’avantage de l’opérateur historique, celui-ci se retrouvera pour la première fois face à un concurrent actif sur tous les réseaux et disposant en théorie des mêmes armes: ce sera un argument en or pour tuer définitivement les rares initiatives politiques pour réguler le marché des télécoms.
Cinquièmement, l’émergence de ce duopole Swisscom UPC-Sunrise risque de marginaliser Salt, qui ne pourra a priori plus compter sur des alliés face à Swisscom.
Cinq raisons pour lesquelles l’on se permet de remettre en question l’optimisme de Mike Fries. Il y a fort à parier que cette fusion soit à l’avantage des actionnaires de Sunrise. Mais pas des clients.
Une fusion qui est d’abord à l’avantage des actionnaires de Sunrise
Un verre de vin, un autre de tequila pour parvenir à «une transaction fantastique». Mike Fries, directeur de Liberty Global, a résumé ainsi ses discussions avec Thomas Meyer, président de Sunrise. Résultat: l’opérateur helvétique, chasseur en 2019, est devenu proie en 2020. Sur le point de s’emparer d’UPC il y a quelques mois, Sunrise sera peut-être bientôt sa propriété d’ici peu. Mercredi, Liberty Global, maison mère d’UPC, a mis sur la table 6,8 milliards de francs pour s’emparer de l’opérateur. Les rôles s’inversent donc totalement pour bouleverser le marché suisse des télécoms.
Si Sunrise est passé du statut de maître du jeu à celui de pion, c’est pour une seule raison: l’argent. Retournons brièvement à l’année passée. Sunrise n’avait pas osé faire voter en assemblée extraordinaire le rachat d’UPC en raison du refus absolu de Freenet, son principal actionnaire, qui estimait notamment que le prix d’achat était trop élevé.
Aujourd’hui, Freenet soutient totalement l’opération de Liberty Global, qui y met le prix: le groupe, basé à Denver (Colorado), Londres et Amsterdam, offre 110 francs par action de Sunrise, soit une prime de 32% par rapport au prix moyen du titre sur 60 jours. Mardi soir, l’action de Sunrise avait clôturé à 86,20 francs. Le prix de l’offre représente un retour sur investissement total pour les actionnaires d’environ 90% depuis l’entrée en bourse de Sunrise en 2015, affirment les acteurs de la fusion.
«Tout le monde a un prix»
Et pourquoi Liberty Global, qui voulait quitter le marché suisse en 2019 en se débarrassant d’UPC, veut-il aujourd’hui le fusionner à Sunrise? «Tout le monde à un prix… Le deal de ce jour a du sens. Nous disposons de plus de 10 milliards de dollars. La Suisse est un très bon marché pour y faire travailler notre argent», a répondu Mike Fries. Le directeur de Liberty Global estime que les économies annuelles issues de la fusion pourraient s’élever à 275 millions de francs. «Il y aura des conséquences pour l’emploi, je ne peux exclure des coupes», a glissé Mike Fries. «La reprise et la fusion consécutive renforcent le marché suisse des télécommunications et garantissent durablement les emplois», estimait de son côté le syndicat Syndicom.
Sur le plan stratégique, le projet de fusion est le même que le précédent. Il s’agit de créer un nouvel opérateur regroupant les forces des deux sociétés. UPC a l’avantage de posséder, comme Swisscom, son propre réseau fixe, en partie constitué de fibre optique. L’atout de Sunrise, c’est son réseau mobile, dont la qualité est régulièrement comparée à celle de Swisscom. Le but de la nouvelle entité est ainsi de concurrencer plus efficacement l’opérateur historique en possédant ces deux réseaux.
Un tiers du marché
Selon les estimations de Liberty Global, la nouvelle entité générera un chiffre d’affaires annuel de 3,1 milliards de francs, aura 2,1 millions d’abonnés en téléphonie mobile, 1,2 million de clients pour l’accès à internet et 1,3 million de clients pour la télévision, soit une part d’environ 30% sur chacun de ces marchés.
L’opération a-t-elle des chances d’aboutir? Mike Fries y croit. Sans doute avec raison. Du point de vue des autorités, la Commission de la concurrence avait donné son feu vert au rachat d’UPC par Sunrise. Elle devrait faire de même pour l’opération inverse. Sur le plan des actionnaires, les 24,52% d’actions que détient Freenet sont déjà promises à Liberty Global. Au 31 décembre 2019, selon le rapport annuel de Sunrise, seuls deux autres actionnaires détenaient plus de 3% de son capital: le fonds d’investissement BlackRock (5,70%) et une caisse de pension canadienne (4,86%). Cette dernière avait déjà donné son feu vert en 2019.
La question Huawei
Pour que la nouvelle opération réussisse, Liberty Global doit acquérir deux tiers des actions de Sunrise. Le rachat des titres doit débuter fin août et doit se poursuivre durant vingt jours ouvrables à la bourse suisse. Mercredi, l’action de l’opérateur suisse flirtait logiquement avec la barre des 110 francs.
Si l’opération est en bonne voie, plusieurs questions se posent néanmoins. D’abord autour de Huawei, l’équipementier chinois banni tant par les Etats-Unis que, tout récemment, par le Royaume-Uni. Or Huawei est le prestataire unique de Sunrise pour son réseau de téléphonie mobile. Le nouvel opérateur suisse pourra-t-il continuer à travailler avec la firme chinoise, sachant que Liberty Global est basé dans les deux pays qui la boycottent? «Dans ce cas précis, la loi suisse sera celle qui compte», a affirmé Mike Fries. Le responsable a déclaré avoir analysé tous les soucis potentiels liés à Huawei et «aucun d’eux n’a altéré notre intérêt pour ce rachat».
Quelle marque?
La question du nom du futur directeur de l’opérateur n’a pas encore été tranchée, de même que celui de la société elle-même. «Sunrise est une marque exceptionnelle, mais nous n’avons pas encore pris de décision», a glissé Mark Fries. L’homme fort de Liberty Global n’a par ailleurs pas exclu un retour en bourse du nouvel opérateur. «Nous n’avons pas d’objection à cela, il y a une bonne chance de voir la société à nouveau cotée dans le futur.»
Si Liberty Global parvenait à absorber Sunrise, les consommateurs suisses auraient le choix principalement entre trois opérateurs: la nouvelle société, Swisscom (détenu majoritairement par la Confédération) et Salt, en mains de la société française NJJ Capital, dirigée par l’homme d’affaires Xavier Niel.
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