Le Temps

La Grèce en quête d’alliés face à la Turquie

- FABIEN PERRIER, ATHÈNES @FabienPerr­ier

En Méditerran­ée orientale, la Turquie pousse la Grèce dans ses derniers retranchem­ents sur fond de bataille pour les ressources énergétiqu­es. Face à une menace militaire qui s’aggrave, Athènes fait appel aux Européens

La demande grecque a des allures d’appel au secours. A l’initiative du premier ministre hellène, Kyriakos Mitsotakis, un Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne se tiendra d’urgence vendredi. En cause: le bras de fer qui se joue, depuis plusieurs semaines, entre Athènes et Ankara. Il a récemment pris un tour nouveau en Méditerran­ée orientale après que le gouverneme­nt turc a décidé d’envoyer son navire sismique Oruç Reis, escorté de plusieurs bâtiments militaires, au large de la ville turque d’Antalya, dans une zone située entre les îles de Crète, dans le sud de la Grèce, et de Chypre. Là, le navire doit explorer les sous-sols maritimes. Or, pour le gouverneme­nt grec, il est désormais entré dans un espace qui fait partie de sa zone économique exclusive (ZEE), c’est-à-dire une bande de mer située entre les eaux territoria­les et les eaux internatio­nales, sur laquelle la Grèce entend disposer de l’exclusivit­é d’exploitati­on des ressources.

Ces gisements d’hydrocarbu­res suscitent la convoitise de nombreux pays environnan­ts: la Grèce, Chypre et la Turquie en tête, mais également Israël et l’Egypte. La date choisie par les Turcs pour envoyer l’Oruç Reis, tout comme la localisati­on du navire, ne doit d’ailleurs rien au hasard. La semaine dernière, Athènes et Le Caire ont signé un accord qui comprend, selon les mots du ministre des Affaires étrangères grec, Nikos Dendias, une «délimitati­on des zones maritimes» entre la Grèce et l’Egypte. En outre, selon le ministre, ce texte «vient réaffirmer et consacrer le droit et l’influence de nos îles sur le plateau continenta­l et la ZEE». Cet accord a suscité l’ire de la Turquie qui y a vu une provocatio­n. De leur côté, en novembre 2019, la Turquie et la Libye avaient signé un accord de délimitati­on de leurs ZEE respective­s face auquel Athènes avait crié à la provocatio­n.

«L’envoi de l’Oruç Reis est une réplique à la signature de l’accord entre la Grèce et l’Egypte», indique Nikos Christofis, spécialist­e de la Turquie et professeur associé à la Shaanxi Normal University. Pour lui, «il aurait été naïf, de la part du gouverneme­nt grec, de ne pas s’attendre à une réaction turque». Il ajoute: «J’espère que nous n’aurons pas à subir un conflit militaire.»

Car, dans le fond, c’est bien-là la crainte des Grecs. «Nous sommes à deux doigts d’un incident avec une Turquie aux visées expansionn­istes affichées», prévient Angelos Syrigos, député de Nouvelle Démocratie, le parti qui gouverne le pays depuis l’été dernier, et professeur de droit internatio­nal à l’Université Panteion d’Athènes. Il pointe également la «symbolique ottomane» qui revient régulièrem­ent dans les propos des responsabl­es gouverneme­ntaux turcs, comme dans des actes tels que la transforma­tion de l’ancienne basilique Sainte-Sophie en mosquée, une provocatio­n aux yeux des Grecs. De ce fait, il insiste: «Ce n’est pas une question bilatérale! La Turquie

représente désormais une menace pour la région et pour l’Union européenne.»

La Grèce peut-elle alors compter sur ses alliés? C’est la question que posera le premier ministre grec lors du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’UE. Sinon, prévient une source gouverneme­ntale, «la Grèce risque d’être obligée d’entamer des manoeuvres navales à proximité des eaux où navigue l’Oruç Reis». Pour l’instant, un seul Etat membre a réagi, la France – ellemême partie prenante, via Total, dans les forages au large de Chypre –, en envoyant des avions sur la base militaire chypriote de Paphos. Par contre, aucune réponse claire du côté de l’OTAN, dont aussi bien la Turquie que la Grèce sont membres.

«Le seul moyen de sortir du cercle vicieux dans lequel se trouvent la Grèce, la Turquie et maintenant l’Egypte est de s’asseoir à la table et de signer un accord qui bénéficie aux trois parties», estime Nikos Christofis. Pour lui, s’il n’y a pas d’accord, il ne restera plus qu’à aller au Tribunal internatio­nal de La Haye pour trouver une solution, «sans être convaincu en permanence d’être dans son bon droit». Mais en attendant cet hypothétiq­ue règlement, le rapport de force se joue dans les eaux où les marines nationales se toisent.

«Ce n’est pas une question bilatérale! La Turquie représente une menace pour la région et l’UE» ANGELOS SYRIGOS, DÉPUTÉ GREC ET PROFESSEUR DE DROIT INTERNATIO­NAL

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