La Grèce en quête d’alliés face à la Turquie
En Méditerranée orientale, la Turquie pousse la Grèce dans ses derniers retranchements sur fond de bataille pour les ressources énergétiques. Face à une menace militaire qui s’aggrave, Athènes fait appel aux Européens
La demande grecque a des allures d’appel au secours. A l’initiative du premier ministre hellène, Kyriakos Mitsotakis, un Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne se tiendra d’urgence vendredi. En cause: le bras de fer qui se joue, depuis plusieurs semaines, entre Athènes et Ankara. Il a récemment pris un tour nouveau en Méditerranée orientale après que le gouvernement turc a décidé d’envoyer son navire sismique Oruç Reis, escorté de plusieurs bâtiments militaires, au large de la ville turque d’Antalya, dans une zone située entre les îles de Crète, dans le sud de la Grèce, et de Chypre. Là, le navire doit explorer les sous-sols maritimes. Or, pour le gouvernement grec, il est désormais entré dans un espace qui fait partie de sa zone économique exclusive (ZEE), c’est-à-dire une bande de mer située entre les eaux territoriales et les eaux internationales, sur laquelle la Grèce entend disposer de l’exclusivité d’exploitation des ressources.
Ces gisements d’hydrocarbures suscitent la convoitise de nombreux pays environnants: la Grèce, Chypre et la Turquie en tête, mais également Israël et l’Egypte. La date choisie par les Turcs pour envoyer l’Oruç Reis, tout comme la localisation du navire, ne doit d’ailleurs rien au hasard. La semaine dernière, Athènes et Le Caire ont signé un accord qui comprend, selon les mots du ministre des Affaires étrangères grec, Nikos Dendias, une «délimitation des zones maritimes» entre la Grèce et l’Egypte. En outre, selon le ministre, ce texte «vient réaffirmer et consacrer le droit et l’influence de nos îles sur le plateau continental et la ZEE». Cet accord a suscité l’ire de la Turquie qui y a vu une provocation. De leur côté, en novembre 2019, la Turquie et la Libye avaient signé un accord de délimitation de leurs ZEE respectives face auquel Athènes avait crié à la provocation.
«L’envoi de l’Oruç Reis est une réplique à la signature de l’accord entre la Grèce et l’Egypte», indique Nikos Christofis, spécialiste de la Turquie et professeur associé à la Shaanxi Normal University. Pour lui, «il aurait été naïf, de la part du gouvernement grec, de ne pas s’attendre à une réaction turque». Il ajoute: «J’espère que nous n’aurons pas à subir un conflit militaire.»
Car, dans le fond, c’est bien-là la crainte des Grecs. «Nous sommes à deux doigts d’un incident avec une Turquie aux visées expansionnistes affichées», prévient Angelos Syrigos, député de Nouvelle Démocratie, le parti qui gouverne le pays depuis l’été dernier, et professeur de droit international à l’Université Panteion d’Athènes. Il pointe également la «symbolique ottomane» qui revient régulièrement dans les propos des responsables gouvernementaux turcs, comme dans des actes tels que la transformation de l’ancienne basilique Sainte-Sophie en mosquée, une provocation aux yeux des Grecs. De ce fait, il insiste: «Ce n’est pas une question bilatérale! La Turquie
représente désormais une menace pour la région et pour l’Union européenne.»
La Grèce peut-elle alors compter sur ses alliés? C’est la question que posera le premier ministre grec lors du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’UE. Sinon, prévient une source gouvernementale, «la Grèce risque d’être obligée d’entamer des manoeuvres navales à proximité des eaux où navigue l’Oruç Reis». Pour l’instant, un seul Etat membre a réagi, la France – ellemême partie prenante, via Total, dans les forages au large de Chypre –, en envoyant des avions sur la base militaire chypriote de Paphos. Par contre, aucune réponse claire du côté de l’OTAN, dont aussi bien la Turquie que la Grèce sont membres.
«Le seul moyen de sortir du cercle vicieux dans lequel se trouvent la Grèce, la Turquie et maintenant l’Egypte est de s’asseoir à la table et de signer un accord qui bénéficie aux trois parties», estime Nikos Christofis. Pour lui, s’il n’y a pas d’accord, il ne restera plus qu’à aller au Tribunal international de La Haye pour trouver une solution, «sans être convaincu en permanence d’être dans son bon droit». Mais en attendant cet hypothétique règlement, le rapport de force se joue dans les eaux où les marines nationales se toisent.
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«Ce n’est pas une question bilatérale! La Turquie représente une menace pour la région et l’UE» ANGELOS SYRIGOS, DÉPUTÉ GREC ET PROFESSEUR DE DROIT INTERNATIONAL