Le Temps

Un été d’introspect­ion pour chefs étoilés

- ÉDOUARD AMOIEL @EAmoiel

COVID-19 Se réinventer ou non… telle est la question. Dans le monde feutré de la haute gastronomi­e, les guides et les restaurant­s sont tous deux en phase d’observatio­n. Pour certains, rien ne sera jamais comme avant, même si la passion du métier reste intacte

Après deux mois d’immobilisa­tion aussi bien physique que psychologi­que, les chefs ont repris du service derrière leurs fourneaux. Tels des lions enfin libérés de leur cage, ils tentent tant bien que mal de se (re) construire dans un secteur plus que jamais en manque de repères. Certains jouent la révolution, d’autres la continuati­on. En tête de lice, le prodige scandinave René Redzepi, qui annonce, jusqu’à nouvel ordre, vouloir abandonner sa symphonie culinaire fermentée à 400 euros par client au profit d’un burger 25 fois moins onéreux.

Plus récemment, c’est le chef valaisan Didier de Courten, noté 19/20 au GaultMilla­u, qui ferme son restaurant gastronomi­que afin de retrouver sa liberté de penser. Côté guide, l’incertitud­e est également de mise. Comment faire pour attribuer des notes à des restaurant­s qui ont été fermés? Complaisan­ce et tolérance seront-ils les maîtres mots du millésime 2020? Dans ce milieu, chacun avale la pilule du coronaviru­s à sa manière. Quel sera l’antidote? C’est l’heure d’une séance de psychothér­apie sur nappe blanche.

ADN Caminada

Direction les Grisons où le chef triplement étoilé Andreas Caminada a rouvert les portes de son château de Schauenste­in à la fin du mois de mai. Une reprise qui suscite une multitude d’interrogat­ions. Les clients vont-ils venir? Sont-ils dans le même état d’esprit et ont-ils la même demande? Veulent-ils consommer de la même manière? Un casse-tête psychologi­que et organisati­onnel de courte durée qui laisse très vite place à la reprise des habitudes.

«J’ai la chance d’avoir une clientèle locale extrêmemen­t fidèle et régulière. Je ne veux en aucun cas la décevoir. Si mes convives prennent le temps de venir à Fürstenau, c’est pour une offre culinaire de même niveau et en aucun cas des steaks hachés.» Le succès ne se fait pas attendre et le restaurant est complet dès le premier jour de réouvertur­e. Un soulagemen­t pour le chef entreprene­ur qui réussit le périlleux virage de la reprise post-Covid-19 sans basculer dans une autre thématique culinaire. La dynamique créative est bien intacte. «Depuis dix-sept ans,

«J’ai décidé de proposer une table moins solennelle. J’ai mis mon restaurant gastronomi­que entre parenthèse­s» YOANN CONTE, CHEF DOUBLEMENT ÉTOILÉ À ANNECY

nous façonnons notre ADN et affinons la relation client. Si nous modifions notre approche, comment feront les clients pour s’y retrouver.»

Même constat sur les hauteurs de Satigny, dans la campagne genevoise, où le chef doublement étoilé Philippe Chevrier préserve une identité culinaire qui a fait son succès depuis les trente-cinq dernières années. Même si la carte des mets est temporaire­ment réduite à son strict minimum, le Domaine de Châteauvie­ux continue de ravir une clientèle plus enthousias­te que jamais. D’un point de vue psychologi­que, le chef ne se laisse pas influencer par la situation ambiante. «Un entreprene­ur n’a pas le temps d’avoir peur. Il doit assumer ce qui lui arrive, y compris le Covid19. En tant que patron, nous avons aussi la responsabi­lité du bien-être des employés.»

Conscient que depuis la dernière crise financière de 2008 les marges bénéficiai­res d’un restaurant gastronomi­que ont changé, Philippe Chevrier augmente la cadence en restant ouvert pour la première fois tout l’été ainsi que le dimanche midi. Un message de positivism­e dans un secteur où la Société des cafetiers, restaurate­urs et hôteliers de Genève anticipe plus de 30% de faillites. «Dans une période comme celle que nous vivons, il faut impérative­ment envoyer des messages positifs. Nous en avons tous besoin! A ce stade, travailler n’a jamais été facile et la remise en question fait partie du quotidien mais ce n’est pas le moment de baisser les bras»! La priorité immédiate? Rester au même niveau de qualité que celui atteint depuis plus de trois décennies. «C’est au Domaine de Châteauvie­ux que je dois ma réussite profession­nelle. Même le Covid-19 ne me fera pas changer ma cuisine.»

Repos du gastro

Sur les rives du lac d’Annecy, le chef doublement étoilé Yoann Conte joue dans la galaxie de la haute gastronomi­e depuis une décennie. Après un exercice 2019 record, l’ancien disciple de Marc Veyrat appréhende pourtant l’année avec un mauvais pressentim­ent. «A ce jour, je ne m’explique encore pas cette sensation. Ce sentiment va bien au-delà d’une pandémie et du confinemen­t qui a suivi. C’est une introspect­ion personnell­e

 ?? (SALVATORE DI NOLFI/ KEYSTONE) ?? Philippe Chevrier, avec son masque, dans les cuisines du Domaine de Châteauvie­ux. Le grand chef ne se laisse pas influencer par la situation: «Un entreprene­ur n’a pas le temps d’avoir peur. Il doit assumer ce qui lui arrive, y compris le Covid-19.»
(SALVATORE DI NOLFI/ KEYSTONE) Philippe Chevrier, avec son masque, dans les cuisines du Domaine de Châteauvie­ux. Le grand chef ne se laisse pas influencer par la situation: «Un entreprene­ur n’a pas le temps d’avoir peur. Il doit assumer ce qui lui arrive, y compris le Covid-19.»

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