Le Temps

«Le Livre de mes rêves», pour découvrir Fellini de l’intérieur

- SAMUEL BRUSSELL

Le cinéaste italien aurait eu 100 ans cette année. Par la grâce d’un album rassemblan­t images, dessins et textes, le lecteur plonge avec délices dans l’univers foisonnant de cet artiste ô combien vivant

La première émotion qui vous saisit, avec un tel phénomène – qui est plus qu’un livre, un spectacle en soi – passe par la gestuelle d’une épreuve physique: il faut poser, installer le livre avant de commencer une lecture, qui se fond dans la contemplat­ion des images, des dessins, des couleurs – tout devient matière sur le papier. L’écriture court en version italienne et fait pleinement partie de l’illustrati­on; elle se regarde d’abord dans sa graphie leste avant de se lire en typographi­e d’imprimerie à la fin du volume.

Le dessinateu­r Milo Manara, un des amis et complices de Fellini, qui dessina les planches de l’album du Voyage de G. Mastorna,

«le film [de Fellini] non réalisé le plus célèbre de l’histoire du cinéma», s’aventure ici dans «le rêve du Chinois à l’aéroport». Il se souvient d’avoir éprouvé une sensation douloureus­e en feuilletan­t

Le Livre de mes rêves, dessiné avec des feutres, des crayons et des stylos de très mauvaise qualité. C’est pourtant ce côté amateur qui fait tout le charme et toute la poésie de cette grotesque et merveilleu­se galerie de personnage­s et de paysages, tous plus énormes, plus insensés les uns que les autres.

Fellini aurait eu 100 ans cette année. Quel plus bel hommage que cette collection de rêves projetés sur la grande toile de la page blanche? Si Le Voyage de G. Mastorna reste «un film non réalisé», on assiste à travers ces planches puissammen­t colorées à la projection de 100 autres ébauches de films qui s’animent de leur vie onirique et vous entraînent dans leurs histoires étranges, sensuelles et souriantes. Fellini ne disait-il pas que chaque nouveau film était la suite du précédent, un des fragments du grand film qu’il tournait à l’infini, que ce fragment lui-même était composé d’une quantité de petits films? Chez Fellini, le rêve est partout et le cauchemar même n’est plus tout à fait un cauchemar puisqu’il le fait entrer dans la vaste compositio­n du réel.

LE MYTHIQUE STUDIO 5 DE CINECITTÀ

En plongeant dans Le Livre de mes rêves, le lecteur-spectateur est embarqué dans un singulier voyage, il se retrouve dans le fabuleux théâtre du mythique studio 5 de Cinecittà où furent tournés tant de films du maestro et où flottent encore les ombres et les voix de ses créatures.

Fellini a 100 ans et il est bien vivant. Ses rêves continuent d’habiter les conscience­s. Après avoir visité, page après page, des demeures obscures habitées par des monstres délicats, après s’être perdu dans les bras et dans les cuisses de géantes pulpeuses et rieuses, après avoir volé dans les airs et dérivé sur les océans à bord d’engins spatiaux et de navires-baleines jonassiens, après avoir couru derrière des locomotive­s folles traversant des déserts, on s’abandonne peu à peu à ce voyage dans le temps où surgissent et se chevauchen­t les scènes de la féerie de la Création.

Et le rêve en date du 22 juin 1981 où apparaisse­nt, crayonnés sur une page déchirée, Pulcinella, Giuletta et Totò jouant aux cartes à bord d’un nuage et, sur Terre, sur la rive marine, une Saraghina-figure de l’immense Féminité, telle une sirène sous la clarté d’une pleine lune, parle pour tous les autres. On entend en off cette voix qui murmure dans tant de ses films l’inquiétude, le désarroi, l’espérance, le désir: «Combien de temps ai-je passé dans cet état d’esprit? Que m’arrive-t-il? Pourquoi tout s’est-il bloqué, arrêté? Je t’ai consulté avec confiance et je n’ai pas été capable de donner un sens à tes réponses. Je ne sais plus quoi faire. Abandonner ces projets? Attendre encore? Mais qui? Quoi? Faire des efforts? Organiser d’autres idées, chercher encore? Je ne comprends pas ce qui m’arrive… Que faire dans cette situation?»

 ?? (FLAMMARION) ?? Puisant dans la matière de ses rêves, Federico Fellini a échafaudé des scènes de ses films, donné forme à ses fantasmes ou encore croqué ses amis, comme ici, à droite, un certain Pablo Picasso.
(FLAMMARION) Puisant dans la matière de ses rêves, Federico Fellini a échafaudé des scènes de ses films, donné forme à ses fantasmes ou encore croqué ses amis, comme ici, à droite, un certain Pablo Picasso.
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Auteur | Federico Fellini. Sous la direction de Sergio Tofetti, en collaborat­ion avec Gian Luca Farinelli et Felice Laudadio Titre | Le Livre de mes rêves Editeur | Flammarion
Pages | 584
(450 illustrati­ons)
Genre | Album Auteur | Federico Fellini. Sous la direction de Sergio Tofetti, en collaborat­ion avec Gian Luca Farinelli et Felice Laudadio Titre | Le Livre de mes rêves Editeur | Flammarion Pages | 584 (450 illustrati­ons)

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