Dans les filières suisses du recyclage
C’est à Wimmis, dans le canton de Berne, que sont recyclées toutes les piles et batteries de Suisse. Plus de 3500 tonnes de ces accumulateurs y sont fondues ou déchiquetées chaque année. Reportage dans une usine perdue au milieu de la nature
Batteries, aluminium, verre, carton, plastique, habits: comment la Suisse valorise-t-elle ses déchets? Et comment peutelle faire mieux?
■ Premier épisode de notre série: à Wimmis, dans le canton de Berne, où 3500 tonnes de piles et de batteries sont fondues ou déchiquetées chaque année
■ Grâce à une taxe de quelques centimes, qui permet de financer la collecte, le transport et le recyclage des piles en circulation, la Suisse en récupère 75%
■ Seul centre suisse de recyclage des batteries, Batrec, créé il y a trente ans par plusieurs cantons, Migros, les CFF et Ruag, est aujourd’hui en mains françaises
«C’est sans doute une erreur», se dit-on en descendant du train à Wimmis. Il n’y a pas de gare, c’est juste un arrêt sur demande perdu en pleine campagne. Autour de nous, des champs de maïs, des fermes devant lesquelles sont alignés des bégonias, un château au loin perché sur une colline… Avec ce décor de carte postale, impossible d’imaginer qu’à dix minutes de marche de là se trouve le coeur suisse du recyclage des piles et des batteries. A cinq kilomètres à vol d’oiseau de Thoune et quarante de Berne, Wimmis est un petit univers à part.
La plongée dans un autre monde débute lorsqu’on franchit le portique de sécurité donnant accès à une vaste zone de bâtiments entre lesquels on ne distingue presque aucune présence humaine. A l’entrée, Dieter Offenthaler nous accueille. «Vous entrez dans une zone un peu spéciale. A droite, c’est une fabrique de poudre pour des munitions. Plus loin, c’est notre usine de recyclage des batteries. Vous remarquez que les bâtiments sont éloignés les uns des autres? C’est pour limiter les dégâts en cas d’explosion. Mais je vous rassure, ça n’est jamais arrivé», sourit le directeur de Batrec. «Ah, et juste derrière cette colline se trouve le laboratoire de biosécurité P4 de Spiez, poursuit-il. On a préféré placer ces sites un peu spéciaux loin des habitations.»
Tri par des humains
Et c’est donc dans cette zone sécurisée que viennent finir leur vie des millions d’accumulateurs. Chaque année, 120 millions de piles sont vendues en Suisse, plus des millions de batteries pour téléphones, ordinateurs ou aspirateurs portables, représentant un volume d’environ 4000 tonnes. «Nous parvenons à en récupérer ici 75%, ce qui fait de la Suisse la championne du monde», se félicite Dieter Offenthaler. L’objectif de 80% fixé par la Confédération est ainsi proche, grâce au système Inobat qui permet, via une taxe de quelques centimes comprise dans le prix de chaque pile, de financer leur récolte, leur transport et leur recyclage. Mais que devient le quart restant de piles? «Elles sont soit jetées à la poubelle, soit exportées à l’étranger avec des déchets électroniques», répond Dieter Offenthaler.
Mais la majorité des piles et des batteries arrivent donc à Wimmis par camion. Première étape, le tri. Car dans les containers se trouvent aussi bien des piles boutons, des piles standards AAA, des batteries pour clôtures électriques que des batteries de smartphone. Ce sont encore des humains qui séparent ces différents modèles qui défilent sur des tapis roulants. «Ils sont encore plus efficaces que les machines pour ce tri, même si nous développons des systèmes automatisés pour l’avenir, poursuit Dieter Offenthaler. Nos employés ont l’oeil pour distinguer immédiatement des piles rechargeables ou des modèles plus anciens qui nécessitent un traitement spécial.»
Ce sont les piles classiques alcalines qui constituent le plus gros volume – environ deux tiers du total. «Et nous avons constaté une hausse ces dernières semaines, car durant le semi-confinement, les gens ont fait le tri chez eux», sourit le directeur de Batrec. Les batteries lithium-ion ne constituent qu’environ 10% du total. «Cette proportion augmente régulièrement et il y a un décalage d’environ sept à huit ans entre la mise en service de ces batteries et leur arrivée ici. Leur durée de vie est logiquement bien plus longue que celle des piles classiques».
Une fois triées, ces piles alcalines sont placées dans une immense cuve où elles seront pyrolisées à environ 800 degrés. Cette première «cuisson» permet de brûler d’éventuels emballages plastique ou papier, de faire évaporer l’eau et de récupérer d’éventuelles traces de mercure, hautement toxique. En ce mois d’août, la chaleur est intense et le bruit des machines incessant dans cette halle où s’activent des hommes équipés de tenue de protection orange.
Piles à l’état liquide
Ensuite, ce magma incandescent est déversé dans un gigantesque chaudron de 2,5 mètres de diamètre chauffé à 1500 degrés via un arc électrique de 5000 degrés. Durant plusieurs heures, les piles, à l’état liquide, sont soumises à une température intense. «Notre but, c’est de récupérer ainsi des métaux, poursuit Dieter Offenthaler. Le fer et le manganèse, plus lourd, tombent au fond de la cuve. Et le zinc, plus léger, s’évapore. Nous récupérons le tout et le monoxyde de carbone qui est émis est réutilisé pour faire tourner nos installations.»
A l’arrivée, on aperçoit ainsi des petits cubes, de quelques kilos chacun, de ferromanganèse, placés dans des bacs semblables à de gigantesques moules à raviolis. «Cette matière est, par exemple, utilisée ensuite pour renforcer la solidité des rails ferroviaires, affirme le directeur de Batrec. Le zinc est employé pour galvaniser le fer et le rendre insensible à la corrosion. Et les déchets qui restent, du mâchefer semblable à de la lave solide, sont sans nocivité pour l’environnement.» Ces résidus sont mis dans des décharges.
Au total, Batrec emploie 85 personnes à Wimmis, dont les fourneaux sont actifs sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Mais seules quatre personnes sont nécessaires pour faire tourner les machines de l’usine. Vu la dureté de la tâche, ces employés se relaient à raison de trois équipes par vingt-quatre heures.
Les piles alcalines deviennent de la matière première pour d’autres industries. Et les batteries lithium-ion des téléphones et des ordinateurs? «Leur traitement est totalement différent», dit Dieter Offenthaler, en ouvrant une batterie semblable à un millefeuille. «Ici, vous trouvez un film plastique, du cuivre, du graphite, de l’aluminium… A Wimmis, nous déchargeons totalement ces batteries puis nous les déchiquetons en tout petits morceaux. Ils sont ensuite traités en France, car nous n’avons pas encore les capacités de les recycler en Suisse. Mais avec l’augmentation des volumes, nous pourrons le faire d’ici cinq ans à Wimmis, c’est certain.» En France, une autre usine se charge ainsi aujourd’hui de récupérer les métaux les plus précieux, soit l’aluminium, le cuivre, le nickel ou encore le cobalt. Mais pas le lithium. Pourquoi? «Il est très peu présent dans ces batteries. Et son recyclage coûte encore beaucoup plus cher que son extraction», répond Dieter Offenthaler. Les batteries lithium-ion contiennent très peu de lithium.
Un groupe français
Pour le moment, seules trois tonnes de batteries de voitures électriques sont traitées par année à Wimmis. Un chiffre appelé à augmenter lorsque davantage de modèles seront en fin de vie.
Batrec est un acteur un peu particulier de cette chaîne, puisque l’entreprise avait été créée il y a trente ans par plusieurs cantons, alliés à Migros, aux CFF et à Ruag. Tous ont ensuite revendu leur part au groupe français Veolia, qui détient ainsi à Wimmis le seul centre suisse de recyclage des batteries. «Et nous y traitons aussi parfois des piles d’autres pays, mais en petit volume», conclut Dieter Offenthaler. Au moment de quitter cet endroit un peu spécial, l’on aperçoit ainsi un semi-remorque aux plaques néerlandaises qui attend devant la grille. Et l’on retrouve les champs de maïs, en se demandant quand la batterie de son téléphone viendra finir sa vie à Wimmis…
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«Vous remarquez que les bâtiments sont éloignés les uns des autres? C’est pour limiter les dégâts en cas d’explosion. Mais je vous rassure, ça n’est jamais arrivé» DIETER OFFENTHALER, DIRECTEUR DE BATREC