Le Temps

Matteo Salvini peine à renaître pendant la pandémie

- ANTONINO GALOFARO, ROME @ToniGalofa­ro

Le virus a relégué au second plan le leader de l’extrême droite italienne. Mais le ralentisse­ment de l’épidémie dans le pays et une augmentati­on des arrivées de clandestin­s ont permis à Matteo Salvini de revenir au centre de l’attention, un mois avant une importante tournée électorale

A Rome, la rue relie Largo Argentina, où aurait été assassiné Jules César, à la Piazza Venezia, ouvrant sur le forum impérial. C’est là aussi qu’en 1978 a été découvert le corps de l’ancien premier ministre assassiné Aldo Moro, abandonné par les Brigades rouges. Et l’endroit a également hébergé jusqu’en 1991 le siège du Parti communiste italien (PCI). Près de trois décennies plus tard, la rue des botteghe oscure (commerces obscurs) a été choisie par Matteo Salvini pour y accueillir le premier siège de la Ligue dans la capitale italienne. Le parti d’extrême droite a signé le contrat de location le 1er août dernier. Son inaugurati­on officielle était attendue fin juillet mais a été remise à une date ultérieure.

Pour un court instant, cette nouvelle avait permis au leader politique de s’approprier de nouveau les lumières médiatique­s. Le coronaviru­s l’en avait exclu depuis fin février. Début juillet, évoquant la localisati­on de son futur siège romain, Matteo Salvini avait irrité ses opposants en faisant siennes des «valeurs d’une certaine gauche qui n’existe plus, celle de [Enrico] Berlinguer», le secrétaire du PCI dans les années 1970 et 1980. «Travail, usines, ouvriers, enseignant­s, agriculteu­rs, artisans», autant de réalités aujourd’hui défendues par la Ligue, soutenait-il à la télévision.

Un thème de prédilecti­on

Après son interventi­on, entre arrivées de migrants en augmentati­on, nouvelles de leur possible contaminat­ion au virus ou de leur fuite de centres d’accueil, la question migratoire est revenue au centre du débat public et politique, permettant au secrétaire de la Ligue de s’exprimer de nouveau sur son thème de prédilecti­on. Matteo Salvini a pu rappeler sa volonté de limiter les entrées dans le pays et de contrôler davantage les frontières.

Il s’agit de l’une de ses «positions claires et cohérentes lui ayant permis de faire passer la Ligue de 4% à 34%» des votes entre 2013 et 2019, assure Lorenzo Pregliasco, analyste politique pour l’institut de recherche et de sondages Quorum. Et de transforme­r une Ligue du Nord autonomist­e et fédéralist­e en Ligue souveraini­ste et nationalis­te allant même jusqu’à ouvrir un siège dans la capitale pourtant honnie.

Or, ajoute le professeur, Matteo Salvini a justement manqué de clarté et de cohérence autour du coronaviru­s. «Il est resté vague depuis le début de la crise, ajoute Lorenzo Pregliasco. On ne sait pas clairement s’il a confiance ou non dans les mesures» anti-Covid-19.

Avant l’été, il a semblé prendre le parti de ses gouverneur­s de Lombardie et de Vénétie, défenseurs des mesures restrictiv­es dans ces régions les plus touchées par la maladie. Mais quelques semaines plus tard, le voilà orateur lors d’une conférence au parlement qualifiée de «négationni­ste» par la presse transalpin­e. Elle réunissait fin juillet divers élus et personnali­tés sceptiques à l’égard du virus ou opposées aux restrictio­ns de libertés. Matteo Salvini mise en réalité sur «l’intelligen­ce, sur l’envie de repartir en sécurité et sur l’autodiscip­line des Italiens», assure un élu de la Ligue, prenant la défense de son chef.

Chute dans les sondages

La domination de l’épidémie dans le débat public et politique, couplée à son discours fluctuant, a coûté au parti d’extrême droite plus de 10 points dans les sondages. Fin juillet, la Ligue récoltait quelque 22% d’intentions de vote dans les enquêtes les plus pessimiste­s, loin des 34,3% obtenus lors des élections européenne­s de 2019 et des 30% en moyenne début janvier, avant la crise sanitaire.

Ces chiffres sont aussi la conséquenc­e de la crise politique survenue l’été dernier, après une alliance d’un an avec le Mouvement 5 étoiles. Alors vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur, le secrétaire de la Ligue avait retiré sa confiance au gouverneme­nt de Giuseppe Conte dans l’espoir de voir convoquées des élections législativ­es anticipées et ainsi de prendre le pouvoir. Une coalition entre son ancien allié au pouvoir et le Parti démocrate l’avait relégué sur les bancs de l’opposition. Avant d’être réduit au silence par le coronaviru­s six mois plus tard.

Le leader politique est par ailleurs mis à mal par deux procès qui doivent se tenir cet automne, pour séquestrat­ion de personnes – des migrants sauvés en mer Méditerran­ée puis bloqués par les autorités au large des côtes italiennes –, par des dissension­s internes toujours plus fortes et par une rude compétitio­n à droite. Ses électeurs perdus viennent en effet grossir les rangs de Giorgia Meloni, à la tête des néofascist­es des Fratelli d’Italia. Mais Matteo Salvini compte sur les élections régionales de septembre pour se reprendre. Ainsi que sur l’élection du prochain maire de la capitale, le printemps prochain, comme en témoigne déjà l’ouverture du siège romain de la Ligue.

Fin juillet, la Ligue récoltait quelque 22% d’intentions de vote, loin des 34,3% obtenus lors des élections européenne­s de 2019

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