La migration, l’autre bataille des Vingt-Sept à la rentrée
Après la relance économique, un nouveau dossier compliqué va absorber les pays de l’UE dès septembre: la réforme de leur politique d’asile commune, qui concerne aussi la Suisse
Lancée après la crise migratoire de 2015, la dernière réforme européenne de l’asile et de la migration avait échoué sur le refus des pays du bloc de l’est de l’Union européenne de soulager ceux du sud en accueillant une partie des migrants arrivés sur leurs côtes. Les négociations avaient laissé un certain nombre de séquelles. Quatre ans plus tard, la Commission d’Ursula von der Leyen va de nouveau tenter l’exercice en présentant le mois prochain un «pacte sur l’asile et la migration» qui devra réussir là où la Commission de Jean-Claude Juncker avait échoué: concilier les sensibilités divergentes, éviter les débats empoisonnés et apporter un vrai changement aux pays qui reçoivent le plus de demandes d’asile, à savoir l’Allemagne, la France, l’Espagne, la Grèce et l’Italie.
Ce pacte devrait en priorité viser la protection des frontières extérieures, les retours dans les pays d’origine, de nouveaux partenariats avec les pays tiers et une solidarité interne prévoyant notamment le partage entre les Etats membres des personnes secourues en mer, voire plus en temps de crise. La Suisse reprendrait ce règlement, ce qui pourrait, selon un diplomate, impliquer un passage par le parlement et une votation en fonction des changements décidés. Le ministre allemand de l’Intérieur, Horst Seehofer, a d’ailleurs promis la semaine dernière à Karin Keller-Sutter d’associer étroitement la Suisse aux discussions des Vingt-Sept.
Des chiffres en baisse
En 2015, la guerre en Syrie avait amené plus de 1 million de personnes dans l’UE, essentiellement en Grèce, dans les Balkans occidentaux et en Hongrie. En 2020, pandémie oblige, les chiffres ont chuté.
Même si Malte, la Grèce ou encore l’Italie connaissent des pics d’arrivées, seules 12000 personnes ont traversé cette année la Méditerranée orientale, contre 885000 en 2015. Vers l’Italie et Malte, 7200 demandeurs d’asile sont arrivés depuis le début de l’année. C’est certes deux fois plus qu’en 2019, mais bien moins que les 180000 de 2016.
L’heure n’est donc plus à la gestion d’urgence. Pour Eric Maurice, responsable à Bruxelles de la Fondation Robert Schuman, c’est tout à fait le «moment de mettre en place des règles pour le long terme». La députée européenne et ex-maire de Strasbourg Fabienne Keller estime qu’il faut en effet «tirer profit de cette situation plus calme» que la pandémie va générer à court ou moyen terme. C’est elle qui devrait gérer à la rentrée un des textes les plus sensibles du pacte, celui qui révisera le fameux règlement de Dublin. Cet accord fixe notamment la responsabilité des pays dits de première entrée et est jugé profondément injuste par l’Italie et la Grèce. «On ne pourra pas se contenter de simples ajustements», assure-t-elle.
Au risque de décevoir les pays du sud de l’UE, loin de bousculer le «système Dublin» et son principe de pays de première entrée, la principale nouveauté pourrait bien être la mise en place de dispositions pour identifier en quelques jours les personnes bénéficiant de la protection du droit d’asile et celles devant être renvoyées. Des centres d’accueil élargis placés aux principaux points d’entrée irréguliers dans l’UE, gérés conjointement, avec davantage de moyens européens, se chargeraient en effet de faire ce tri via des contrôles renforcés.
Ne pas forcer les Etats
La solidarité et la fameuse relocalisation des demandeurs d’asile acceptés entre pays membres interviendraient dans un second temps, une fois le premier tri opéré. La Commission abandonnerait enfin l’idée de forcer les Etats d’Europe centrale et de l’Est à accueillir une partie de ces personnes en échange d’une compensation financière, levant ainsi un point de blocage. «C’était le péché originel» de la réforme de 2016, relève un diplomate. La nouvelle approche prévoirait à l’inverse que ces gouvernements récalcitrants mettent la main à la poche pour soutenir les pays d’accueil.
Pour beaucoup, les discussions ne s’annoncent cependant pas plus aisées. «Le dernier sommet sur la relance a bien montré que la solidarité n’a rien d’évident dans l’UE. L’intérêt commun ne vient pas en priorité», note Eric Maurice. Le chercheur voit même une difficulté supplémentaire avec des gouvernements polonais ou hongrois devenus encore plus sûrs d’eux-mêmes, et donc plus durs, qu’en 2015. La Commission répète à l’envi que mettre tout le monde d’accord «sera difficile». C’est bien pour cela qu’elle a reporté ce sujet, initialement prévu au printemps, à la rentrée. Mettre sur la table des Vingt-Sept à la fois le plan de relance et le dossier migratoire n’était tout simplement pas envisageable.
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