Les Etats découvrent une réaction en chaîne
En combattant la pandémie, nous avons aussi déclenché une réaction en chaîne économique dont nous ne contrôlons plus les conséquences, un peu comme un réacteur nucléaire hors de contrôle. Petit à petit nous prenons conscience de l’ampleur de la crise. Elle peut se propager exponentiellement dans tous les secteurs de l’économie. La contagion économique existe aussi.
Prenez le tourisme, qui représente 10,3% du produit intérieur brut (PIB) mondial (3% en Suisse, 7% en France et 12% en Espagne). En mai, les revenus étaient en chute libre de 56%. Or cette crise infecte une myriade d’autres secteurs, de l’événementiel au luxe en passant par l’immobilier et les services financiers, et tous ceux qui fournissent ces industries, et leurs familles. Cela commence avec le café du coin et cela finit avec Boeing.
Les Etats et les banques centrales savent plus ou moins gérer une dépression d’un cycle court, mais pas une réaction en chaîne économique qui dure. Les plans de relance sont indispensables, car l’argent doit circuler. Mais, à ce rythme (1000 milliards de dollars supplémentaires aux Etats-Unis, 750 milliards en Europe), combien de temps les Etats peuventils soutenir l’économie?
Car la dette publique explose. Pour les pays de l’OCDE, elle augmentera de 17000 milliards de dollars cette année, soit 25% de plus qu’en 2019. Elle va atteindre 127% du PIB. On est loin des critères frugaux de Schengen, vraiment très loin.
De plus, tout va incroyablement vite. Comme le soulignait récemment Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale américaine, «le chômage aux Etats-Unis est passé en deux mois de son niveau le plus bas en 50 ans à son niveau le plus haut depuis 90 ans».
Les chiffres du troisième trimestre seront meilleurs par un effet de rattrapage: la sortie du confinement et les vacances. Mais tout le monde s’attend à une deuxième vague. L’angoisse des consommateurs redoublera: comment faire la différence entre un rhume simple, une grippe saisonnière, une allergie ou le Covid-19?
Les Etats ne peuvent pas perpétuellement financer tout le monde et s’endetter sans fin: surtout face à une crise qui s’éternise et au développement exponentiel de ses conséquences sur tous les secteurs. Il faudra d’autres ressources que la planche à billets. L’ère de la fiscalité basse et globalement ultra-compétitive touche donc à sa fin.
La diminution de la fiscalité des entreprises était la conséquence de leur liberté de choisir leur lieu de résidence. Demain cela sera moins le cas. Les pays seront plus interventionnistes sur le plan économique et politique. Ils voudront assurer leur sécurité d’approvisionnement alimentaire, technologique ou sanitaire. La mobilité des entreprises et des personnes sera entravée. Les Etats en profiteront alors pour augmenter leur pression fiscale.
Cette nouvelle fiscalité surfera sur tous les grands débats sociaux, de la lutte contre les inégalités à la mobilité douce. Mais elle s’habillera surtout de vert. Les taxes environnementales de toutes sortes prendront l’ascenseur. Si c’est pour protéger la nature, alors nous sommes d’accord. La transition écologique conduira aussi à une révolution fiscale.
Sans le dire, les Etats semblent se rapprocher des idées de la nouvelle théorie monétaire. Celle-ci veut qu’un Etat qui a le contrôle de sa monnaie peut se permettre des niveaux de dette très élevés tant que cela n’a pas d’impact sur l’inflation. De plus, et c’est très controversé, les banques centrales deviendraient des instruments de politique du Trésor et perdraient leur indépendance.
Face à une crise qui s’éternise, notre relation avec l’Etat va changer. Que voulons-nous? Un Etat fort, «ce Dieu mortel à qui nous devons notre paix et notre sécurité» comme l’écrivait Thomas Hobbes dans son Léviathan, ou un Etat protecteur et bienveillant, comme le voulaient les utopistes du XIXe siècle? Pas sûr que nous soyons tous d’accord.
Ce débat n’est donc pas nouveau. Frédéric Bastiat, un des pionniers du libéralisme au XIXe siècle, le résumait ainsi: «L’Etat, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde.» On y est peutêtre.
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