Lonza, l’invité surprise de la pandémie de Covid-19
Grâce à son partenariat avec la société américaine Moderna, le groupe bâlois est devenu le principal espoir suisse dans la course au vaccin contre le Covid-19. Une prouesse qui couronne le pari fait sur les biotechnologies
Pour prendre la mesure de l’expansion actuelle de Lonza, il faut se rendre sur son site internet et en visiter la page consacrée au recrutement.
Partout dans le monde, le groupe bâlois qui emploie plus de 150000 personnes est à l’affût de nouveaux talents. Pas moins de 300 postes sont ouverts, le reflet des ambitions de celui qu’il faudra dorénavant désigner comme un fabricant de solutions médicales. Fin juillet, la société a en effet mis en vente sa division LSI (Lonza Solutions International), active dans les autres spécialités chimiques.
Dans l’air depuis des mois, l’annonce est survenue à l’occasion de la publication de ses résultats semestriels. Durant une période marquée par la pandémie, Lonza a vu son chiffre d’affaires progresser de 3,3%, à 3 milliards de francs. Plus des deux tiers des recettes viennent de l’unité consacrée à la pharma, la biotechnologie et les nutriments. Le bénéfice net s’est, lui, envolé d’un cinquième, à 478 millions de francs.
Avant même ces résultats, Lonza était devenu le chouchou des investisseurs en Suisse. Cotée à un peu plus de 350 francs en début d’année, son action s’échange aujourd’hui à près de 560 francs. Annoncé en mai, son partenariat avec la société américaine Moderna pour produire son potentiel vaccin contre le Covid-19 l’a propulsé sur le devant de la scène. «Il s’agit d’une des rares sociétés en Suisse qui pourraient profiter de la situation actuelle, observe Jérôme Schupp, analyste financier chez Prime Partners. Mais cette réalité a surtout fait ressortir les qualités intrinsèques de l’entreprise.»
La pointe de l’iceberg
Conséquence directe de ce partenariat, Moderna a annoncé mardi dernier faire de Bâle son quartier général européen. Indépendamment des résultats du vaccin, les deux sociétés entendent travailler au développement de la technologie de la biotech américaine sur dix ans.
Bâle, capitale mondiale de la pharma. Bâle située à 240 kilomètres de Viège, berceau historique de Lonza. C’est dans la petite bourgade haut-valaisanne que les premiers pas dans les biotechnologies ont été faits au début des années 1980. Trois lignes de production y sont aujourd’hui prévues pour fabriquer le vaccin de Moderna, en cas de succès. Réparti entre les deux partenaires, l’investissement est évalué entre 60 et 70 millions de francs.
Ce que Jérôme Schupp décrit comme un «coup de poker» de la part de la biotech Moderna ne représente que la part la plus visible de la métamorphose de Lonza. Cette mue a placé le groupe à l’avant-garde de la fabrication d’une nouvelle génération de médicaments hautement complexes.
«Il s’agit d’une des rares sociétés en Suisse qui pourraient profiter de la situation actuelle. Mais cette réalité a surtout fait ressortir les qualités intrinsèques de l’entreprise» JÉRÔME SCHUPP,
ANALYSTE FINANCIER, PRIME PARTNERS
«Lonza est clairement devenu numéro un mondial dans le domaine de la fabrication de médicaments biologiques», confirme Daniel Buchta, analyste financier de la banque Vontobel, précisant que ce secteur, encore peu concurrentiel, offre des perspectives de rendement élevé.
L’analyste relève notamment l’excellent positionnement de la société suisse dans les thérapies cellulaires, mais surtout dans l’immunothérapie basée sur les anticorps dits monoclonaux, ainsi que les anticorps conjugués. Ces approches sont par exemple jugées très prometteuses pour la lutte contre le cancer.
Pour concrétiser ses ambitions, Lonza a lancé en 2017, à Viège, le projet Ibex. Il prévoit la réalisation d’un complexe modulable de cinq bâtiments – deux d’entre eux sont aujourd’hui fonctionnels. Ce projet vise à mettre à la disposition de ses clients des capacités de production pour tester ou produire en grande quantité de nouvelles solutions. Un partenariat a déjà été signé avec le géant français Sanofi. Récemment, des collaborations avec les sociétés Servier et Kodiak ont aussi été annoncées.
Couper le cordon ombilical
Mais avec cette nouvelle orientation, la rupture avec la division LSI était programmée. Elle a été préparée par le conseil d’administration présidé par le biologiste Albert Baehny. Celui-ci dirige également la société ad interim, le Suisse Marc Funk ayant démissionné l’année dernière de son poste de directeur.
«Les deux divisions offrent peu de synergies. Ce qui intéresse les investisseurs, c’est la pharma et les biotechnologies», décrypte Daniel Buchta. Même si, souligne-t-il, Lonza dégage des résultats honorables dans les spécialités chimiques, un domaine beaucoup plus dépendant de la conjoncture.
Selon lui, LSI, active en Valais, devrait donc trouver preneur et rester active dans ce canton puisque les infrastructures et la main-d’oeuvre y sont présentes.
L’assainissement des zones polluées dans le passé au mercure ou à la benzidine restera en revanche à la charge de Lonza. Lonza qui investit massivement à Viège. Pas moins de 3500 employés y travaillent actuellement, 700 de plus qu’il y a dix ans. Porte-parole du site valaisan, Michael Gsporner signale que 136 postes sont actuellement ouverts.
Un nouveau capitaine
Dès novembre, Pierre-Alain Ruffieux, futur directeur général de Lonza, devra continuer la mise en musique de la partition composée depuis quarante ans. Actuellement chargé des opérations techniques de Roche, l’homme a également travaillé pour Novartis. Les deux géants de la pharma représentent des clients stratégiques.
Si le pari technologique du partenaire Moderna échoue, Pierre-Alain Ruffieux devra aussi gérer ce qui pourrait être perçu comme un revers. Mais pour Jérôme Schupp, Lonza n’a pas beaucoup à perdre: «L’action va égarer quelques pourcentages, mais le groupe a beaucoup gagné en termes de notoriété. Peut-être même que d’autres producteurs de vaccins vont penser à eux.»
Au cours de ses 123 ans d’existence, Lonza s’est de toute manière déjà réinventé à de nombreuses reprises. Au bord d’une petite rivière valaisanne qui porte son nom, le groupe produisait à ses débuts du carbure pour les lampes à acétylène.
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