Il y a 200 000 ans, nos ancêtres dormaient sur un lit douillet de cendres et d’herbes
Les premiers hommes modernes, en Afrique du Sud, fabriquaient déjà des matelas complexes. Ces couches étaient même sans doute capables d’éloigner les insectes
Tout a commencé grâce à l’oeil exercé d’une experte, Lyn Wadley. Nous sommes en 2017, en Afrique du Sud. La soixantaine élégante, cette grande dame de l’archéologie, professeure honoraire à l’Université Wits (Johannesburg), se penche avec attention sur ce qui, pour le néophyte, n’est qu’une fade poussière blanche. Des débris? Des trésors sans prix, en réalité. Ils ont été extraits d’une caverne d’Ali Baba: la Border Cave («la grotte de la frontière»). En plein pays zoulou, le site est grandiose. La grotte, large d’environ 40 mètres et profonde de 20 à 30 mètres, surplombe la chaîne du Lebombo, à l’est du pays. Une falaise abrupte plonge dans le pays frontalier, l’Eswatini (ex-Swaziland).
Surtout, cet abri-sous-roche a livré, depuis les années 1930, un florilège de vestiges de la vie des hommes du paléolithique. «C’est un des rares sites d’Afrique à avoir fourni des restes d’hommes modernes, raconte Francesco d’Errico, archéologue à l’Université de Bordeaux, coresponsable de la fouille avec une équipe sud-africaine. En 1941, on y a découvert la sépulture d’un nouveau-né orné d’un objet de parure, vieille de 74000 ans. Plus récemment, nous y avons identifié de la cire d’abeille datant de plus de 40000 ans, et des tubercules carbonisés consommés par les hommes il y a 170000 ans.» Grâce à la conformation de la voûte, l’intérieur de la grotte reste très sec. «Cela permet une exceptionnelle conservation de la matière organique», explique le chercheur.
Des végétaux fossiles
Revenons à cette fameuse farine blanche que scrute Lyn Wadley, en 2017. Ces fines particules, visibles dans des sédiments vieux de 200000 ans, intriguent l’archéologue. «Et s’il s’agissait de végétaux fossiles?» Son intuition sera bientôt confirmée par les analyses au microscope électronique. Ensuite, les chercheurs ont remonté le fil d’une longue histoire d’alcôve.
Elle concerne une population humaine «chez qui les caractères anatomiques modernes étaient en train de s’affirmer», selon Francesco d’Errico, mais encore pourvue de certains traits archaïques, comme la morphologie dentaire. Eh bien, ces hommes étaient déjà capables de construire, il y a 200000 ans, des matelas végétaux complexes. C’est ce que révèle l’étude internationale parue vendredi dans la revue Science, signée par Lyn Wadley, première auteure, Francesco d’Errico et d’autres.
Ces matelas étaient composés d’une sous-couche de cendres végétales, recouvertes d’un tapis d’herbes et de feuilles d’arbustes séchées. Jusqu’ici, les plus anciens couchages de ce type étaient vieux de 77000 ans. Ils ont été trouvés dans une grotte un peu plus au sud, Sibudu. A Border Cave, on a aussi découvert des matelas conçus selon le même modèle, qui datent d’il y a 43000 ans. «On y voit encore très bien les tapis d’herbes sèches. C’est presque comme s’ils venaient d’être abandonnés», raconte Francesco d’Errico. Mais dans des sédiments vieux de 200000 ans, ces tapis ont disparu. Les plantes séchées se sont fossilisées, formant de petits fragments blancs. Lyn Wadley avait vu juste.
Des matelas anti-insectes?
L’équipe a aussi analysé d’autres traces des plantes incorporées dans ces couchages. Ces traces, ce sont des phytolithes. Ils sont formés de minéraux qui s’accumulent entre les cellules des plantes, du temps de leur vivant. Ce faisant, ils moulent leurs structures internes. Une fois mortes, les plantes les restituent aux sols. Résultats: les phytolithes trouvés ici sont caractéristiques d’une sous-famille de graminées, les Panicoideae. Cinq espèces ont même été identifiées, telle l’herbe de Guinée. Elles poussent encore aujourd’hui dans les bois qui entourent la grotte.
Les chercheurs ont aussi analysé les charbons issus des arbustes brûlés, trouvés dans la couche contenant les cendres. Ils en ont identifié un riche en camphre (Tarchonanthus trilobus). Ses feuilles aromatiques ressemblent à celles d’une autre espèce, T. camphoratus, utilisées aujourd’hui en Afrique dans des literies pour repousser les insectes. Les auteurs supposent donc que jadis, cette plante médicinale était utilisée pour ces mêmes vertus assainissantes.
Par ailleurs, les chercheurs ont observé que ces couches de cendres végétales, alternant avec des couches d’herbes fossilisées, s’accumulaient au fil du temps dans les sédiments. «Il s’agissait donc d’un comportement récurrent», relève Francesco d’Errico. Confort et hygiène: au fond, les grands principes de la literie moderne étaient déjà présents, dans ces paillasses conçues par de premiers hommes modernes.
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Les chercheurs ont observé que ces couches de cendres végétales, alternant avec des couches d’herbes fossilisées, s’accumulaient au fil du temps