SURPRENANTE MONIQUE JACOT
A 86 ans, l’artiste neuchâteloise présente au Musée Jenisch des transferts et héliogrammes, fruit d’expérimentations menées après son retrait du photojournalisme.
Le Musée Jenisch expose des travaux récents de la photographe, réalisés notamment avec une nouvelle technique d’impression sur papier
De Monique Jacot, on connaît principalement de beaux reportages réalisés en Suisse comme ailleurs dans le monde. L’été dernier, le festival Alt.+1000 présentait dans les montagnes neuchâteloises un travail consacré aux paysannes, de même qu’une série en partie inédite réalisée à La Brévine durant l’hiver 1981 sur commande du magazine L’illustré. Dans la foulée, le Palais de Rumine, à Lausanne, exhumait des clichés pris au Yémen dans les années 1980.
Et voici que le Musée Jenisch dévoile une autre facette de la photographe. Fraîchement auréolée d’un Grand Prix suisse de design venant couronner tant son engagement humain que ses projets plus abstraits, selon la motivation du jury, Monique Jacot s’avère encore pleine de surprises. Dans une salle du Pavillon de l’estampe, ce sont des transferts et héliogrammes qui s’offrent au regard émerveillé des visiteurs.
Il y a dans cette petite exposition veveysanne quelque chose de ludique, comme l’envie de surprendre et de se jouer des codes du médium photographique. Expliquant que les transferts qui constituent la première partie de l’accrochage ont été réalisés par l’artiste à partir de ses archives, la commissaire Dora Sagardoyburu évoque un jeu sur la perception. C’est notamment frappant dans un montage sans titre réalisé en 1995 à partir de deux images. A gauche, un oeil de verre photographié dans une brocante; à droite, un oeil féminin issu d’un portrait. Cette juxtaposition offre un nouveau niveau de lecture, comme si on était observé par une étrange créature.
PROCHE DU MONOTYPE
D’autres collages prennent comme matériau de base des images extraites de plusieurs projets emblématiques, comme Femmes de la terre (1989), Printemps
de femmes (1994) et Cadences: l’usine au féminin (1991). On y découvre des visages connus, Charlotte Rampling, La Ribot, Dominique Sanda, dans des montages se concentrant principalement, là aussi, sur les yeux et le regard. La technique du transfert (une photo projetée sur un film Polaroid dont le négatif est alors appliqué sur du papier à dessin) apporte une dimension surréaliste, quelque chose de mystérieux, d’impalpable. Chaque transfert est une impression unique qui peut alors, souligne Dora Sagardoyburu, se rapprocher de l’estampe et du monotype.
Les transferts présentés au Jenisch proviennent, en marge des portraits, de travaux divers – série sur les métiers du théâtre, reportages au Yémen, installation de Daniel Spoerri à Bex & Arts. On y reconnaît, derrière le jeu et les expérimentations, la patte de l’artiste. Les héliogrammes présentés dans la dernière section s’avèrent au contraire totalement surprenants. Monique Jacot explique qu’ils découlent de photogrammes «à la Man Ray» qu’elle a commencé à élaborer en laboratoire en impressionnant des objets plats sur des plaques de verre. Puis, un jour, elle a demandé à son ami Pietro Sarto: «J’aimerais bien faire la même chose sur du papier, on essaie?» Ainsi est né, vers 2014-2015, l’art de l’héliogramme, terme qu’elle a inventé elle-même. «Je n’avais plus envie de faire de la photo, je suis trop vieille», rigole-t-elle. Son credo? «Oh, vous savez, il faut surtout ne pas se prendre la tête…» Elle sort alors de son sac un petit carnet: «Un jour, j’ai noté ceci: «L’inspiration, c’est comme la respiration, une nécessité.»
PLUMES DE CORBEAUX
La photographe neuchâteloise a une passion pour les plumes. Elle en ramasse dans la nature, mais en a aussi demandé aux gardiens du zoo de Servion. Elle en fait des bouquets, en conserve – triées par couleurs – dans des boîtes d’archives. Et s’en sert pour ses héliogrammes. A l’aide d’une gélatine photosensible collée sur une plaque en cuivre, elle crée des natures mortes parfois savamment composées, d’autres fois laissées au hasard. On reconnaît également sur d’autres oeuvres un nid ainsi que des crins de cheval. Sur une série de plusieurs tirages, on découvre des plumes de corbeau. Monique Jacot les a recueillies dans le jardin d’une petite église écossaise. Des oiseaux s’étaient violemment querellés et elle avait été impressionnée par le tapis de plumes d’un noir dense qu’ils avaient laissé derrière eux. Et qu’elle a essayé de reproduire.
A 86 ans (elle les fêtera le 19 août), celle qui restera l’une des premières femmes photojournalistes est d’une étonnante vivacité, même si elle préfère toujours laisser son travail parler de lui-même. Alors qu’elle vient de découvrir en compagnie de sa famille et d’amis l’exposition du Pavillon de l’estampe, elle se contente de hausser les épaules lorsqu’on lui fait remarquer la modernité de ses héliogrammes: «Il fallait essayer, j’ai essayé…» Sur une cimaise, on peut lire en guise de notes d’intention quelques mots qui l’accompagnent: strate, passage, équanimité, résonance, métaphore, empreinte, chaos, empirisme, métissage. «Tels des sillons, j’aime qu’ils apparaissent dans mes images», dit-elle.
«Monique Jacot – Transferts et héliogrammes», Pavillon de l’estampe, Musée Jenisch, Vevey, jusqu’au 6 décembre.
La photographe a une passion pour les plumes, qu’elle ramasse dans la nature. Elle en a aussi demandé au zoo de Servion