S’ENFUIR À FOND LA CAISSE
L’auteur new-yorkais William Boyle met en scène trois femmes poursuivies par la mafia dans une comédie déjantée qui fait la part belle à l’amitié et à la soif de liberté
◗ En trois romans (Gravesend, Tout est brisé et Le Témoin solitaire), William Boyle est devenu le chroniqueur et porte-voix des habitants «aux vies minuscules vécues sur la corde raide» du quartier de Gravesend, au sud de Brooklyn, à New York. Un quartier pauvre, peuplé de Russes et d’Italiens, qu’il connaît comme sa poche, pour y être né, y avoir grandi et exercé le métier de disquaire, spécialisé dans le rock américain indépendant. Jusqu’ici, la bande-son alternative des trois livres de William Boyle, entre romans noirs et polars, était gravée dans le réalisme et la mélancolie, voire la dépression. Une mélodie sombre, adoucie çà et là par la tendresse du regard de l’écrivain sur son périmètre fétiche.
Le changement de ton est radical pour son quatrième roman, une des excellentes surprises de l’été: voici un road trip sur la côte Est, une course poursuite jubilatoire dans l’Etat de New York, une comédie déjantée et à l’humour noir. William Boyle nous emmène à travers les rues de Brooklyn et du Bronx puis sur les voies d’autoroute pour rejoindre la campagne au nord de la ville dans une Chevrolet Impala de 1962. A son bord se trouvent la veuve d’un célèbre parrain de la mafia new-yorkaise, sa petite-fille rebelle et une ex-star de films pornos. Réunies par hasard à la suite d’un malencontreux usage de cendrier, les trois femmes sont poursuivies par deux mafiosi, bientôt rejoints par un troisième, connu à la ronde pour tuer ses ennemis à coups de marteau.
A partir d’un concours de circonstances, plus loufoques les unes que les autres, démarrant sur les chapeaux de roues et provoquant quelques morts horribles, William Boyle utilise essentiellement les dialogues – truculents quand ils ne sont pas hilarants – pour à la fois faire avancer son intrigue, rythmer son récit et raconter les histoires des personnages principaux. Cette haletante conduite narrative zigzague entre 27 chapitres focalisés à tour de rôle sur les trois héroïnes (Rena, Wolfstein et Lucia) et les deux antihéros (Richie et Enzio) du roman.
COURSE FOLLE
On ne s’ennuie pas une seconde dans cette course folle, ode joyeuse aux femmes, à l’amitié qui «est la plus belle des histoires d’amour», à la famille, à l’espoir, au courage, à la liberté et à New York. L’originalité de ce récit en milieu mafieux, truffé de références aux Affranchis, au Parrain, aux Soprano, à Pulp Fiction ou encore aux Nerfs à vif, est de se concentrer sur le point de vue des femmes, leur caractère, leur personnalité et leur force, reléguant les hommes violents aux seconds rôles. Cela fait de L’amitié est un cadeau à se faire un roman féministe, léger et drôle et, sans doute aussi, un petit traité de filouterie. «Etre un filou, c’est se libérer d’une souffrance à laquelle les gens normaux semblent s’accrocher. Les filous connaissent l’échec par coeur, mais ne le laissent jamais les arrêter. Au contraire, être un filou aide à dépasser l’échec.»