Aoife Nessa Frances, l’Irlande sans âge
Elles sont rares, ces chansons dont on sait dès la première écoute qu’elles nous accompagneront toute notre vie. Here in the Dark fait partie de ces compositions éternelles, avec son pouvoir insensé quand s’envole le refrain; les amoureux pensent qu’ils le resteront toute leur vie, les coeurs brisés peuvent évacuer le reste de leur peine, et les autres savoureront juste le miracle d’être toujours en vie. Son auteure en dit simplement ceci: «C’est une chanson qui parle du combat qu’on doit mener quand on est toujours amoureuse de quelqu’un. De comment se rendre vulnérable pour pouvoir aimer quelqu’un et être aimée en retour. De toutes ces choses qui arrivent dans le feu de l’action, sans qu’on comprenne pourquoi ni comment. La mélodie et les paroles me sont venues d’un seul coup.»
Aoife (prononcer «iifa») Nessa Frances est intarissable sur la poésie et le mystère qui habillent chacune des neuf chansons de son premier album. Elle n’arrive pas en revanche à s’enfermer dans une case – folk, psychédélique, alternatif? – et c’est bien normal: c’est le plus singulier de tous les disques qu’on a écoutés cette année, sans qu’on puisse vraiment l’expliquer au premier abord. Jusque dans son titre, lieu de vacances gallois de son producteur (Llandudno Junction) qu’elle a mal entendu et retranscrit en Land of No Junction pour en faire une porte ouverte à toutes les imaginations. «C’est un lieu à peine perceptible, un vaste paysage sombre à visiter en rêve. Un endroit pour attendre, où je pourrais m’asseoir dans l’incertitude et l’accepter. Refouler ce qui est trop net, et se réjouir de l’inconnu et de l’entre-deux», décrit-elle.
Née dans un milieu très créatif – mère actrice et thérapeute holistique, père facteur de violons –, la jeune Irlandaise est une âme torturée mais joueuse, emballée par l’écriture instinctive et ses mots sans queue ni tête qui finissent par générer un univers à part: «Il y a toujours ce beau moment, à l’origine, où les mots finissent par débarquer. Après coup, je n’ai pas nécessairement l’impression d’avoir écrit la chanson moi-même. Elle vient de cet autre endroit.» Le subconscient semble avoir pris le pouvoir chez elle. Il ne doit le rendre sous aucun prétexte.
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