«Je me suis fait huer, puis ils se sont mis à hurler»
La légende folk Shirley Collins, qui vient tout juste de sortir un grand disque à 85 ans («Heart’s Ease»), raconte un sexisme terrifiant au milieu du XXe siècle
«Il faut bien avoir ceci en tête: au cours des années 1950 et 1960, le sexisme était omniprésent dans la vie de tous les jours. Impossible pour une jeune femme de faire vingt mètres dans la rue sans entendre une réflexion obscène ou des ouvriers de chantier hurler comme des loups sur notre passage. Le nombre de fois où j’ai pris le train avec mon étui à banjo et où les contrôleurs me balançaient «Alors comme ça, vous êtes dans les combines?» [«So you’re on
the fiddle?», jeu de mots intraduisible, «fiddle» signifiant à la fois «violon» et «trafic»]. Je les ignorais et ils me balançaient: «Bah vous n’avez aucun sens de l’humour vous, hein?»
Des histoires ont couru sous-entendant que les jeunes artistes femmes devaient être «gentilles» envers les producteurs-prédateurs, un peu comme dans l’industrie cinématographique finalement.
Ma chance à moi, en quelque sorte, c’est d’avoir été une artiste folk, un domaine indépendant qui échappait à l’industrie musicale. Mais la discrimination était omniprésente à l’époque. J’ai ouvert mon premier compte bancaire au début des années 1960, et j’ai eu besoin de la signature de mon mari pour le faire. Et après notre divorce à la fin des années 1970, impossible d’obtenir un emprunt pour acheter un appartement, alors que j’en avais les moyens. Parce que j’étais une femme. J’ai dû imiter sa signature pour y parvenir.
Les femmes ne pouvaient pas entrer seules dans de nombreux pubs, également. Un problème pour moi, puisque la grande majorité des scènes sur lesquelles je devais jouer étaient dans des bars. Je me souviens d’un soir où j’étais habillée à la dernière mode – un grand manteau qui tombait juste au-dessus de mes chevilles et une minirobe en dessous. Je me suis fait huer par tous les hommes en entrant dans le pub, avant qu’ils ne se mettent à hurler lorsque je l’ai enlevé. Et impossible de m’en aller puisque je devais jouer…
Je suis sûre que les choses se sont grandement améliorées depuis, mais il reste du travail. Quant aux festivals 100% féminins, je suis résolument contre. Moi, je joue avec un groupe entièrement masculin. Je les ai choisis parce que ce sont de bons musiciens, des amis que je connais depuis de nombreuses années et qui comprennent les chansons que je veux chanter. Et pas parce qu’ils sont des hommes. Donc oui, je pense qu’il pourrait y avoir un risque de ghettoïsation à multiplier les événements 100% féminins. Je n’aime pas les gens agressifs ni ceux qui veulent contraindre, quel que soit leur sexe.»
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