Le Temps

La leçon de géométrie du professeur Desnos

- ÉLÉONORE SULSER @eleonoresu­lser

La rentrée n’est pas encore là, mais pour les écoliers, elle pointe le bout de son nez. Pas de panique, cependant.

Je suis tombée par hasard sur un poème buissonnie­r qui m’a fait rire et qui prolonge les vacances en démontrant par a+ b – à coups de lettres et donc de mots – la supériorit­é très nette de la poésie sur les mathématiq­ues.

Alors que l’Europe est sur le point de sombrer dans la guerre qui finira par avoir sa peau, Robert Desnos travaille, à l’été 1939, à un petit recueil. Sept poèmes destinés à un enfant de 8 ans, Daniel Milhaud, fils de Madeleine et du compositeu­r Darius, dont le poète est l’ami et parfois la plume… C’est La Géométrie de Daniel, qui paraîtra longtemps après 1945, longtemps après la mort du poète, déporté, à Theresiens­tadt.

Il n’est pas question ici de 18 mètres de fourmi, ni du pied unique d’un éléphant («L’éléphant qui n’a qu’une patte / A dit à Ponce Pilate / Vous êtes bien heureux d’avoir deux mains, / Ça doit vous consoler d’être Consul romain.») ou de la clé perdue de l’oiseau mécanique. Non. Il est question ici de carré, de rond, de point, de plan de perpendicu­laires et de ruban de Möbius, d’angle et de paraboles.

Le bestiaire, cette fois, est géométriqu­e. C’est sur les territoire­s d’Euclide que s’aventure Robert Desnos.

Et il y met un sacré désordre. Jugez plutôt: «Par un point situé sur un plan / On ne peut faire passer qu’une perpendicu­laire à ce plan. /On dit ça… / Mais par tous les points de mon plan à moi / On peut faire passer tous les hommes, tous les animaux de la terre. / Alors votre perpendicu­laire me fait rire. / Et pas seulement les hommes et les bêtes / Mais encore beaucoup de choses / Des cailloux / Des fleurs / Des nuages / Mon père et ma mère / Un bateau à voiles / Un tuyau de poêle / Et si cela me plaît / Quatre cents millions de perpendicu­laires.»

De quoi faire tourner la tête au petit Daniel, qui des années plus tard, devenu peintre, avouera dans la revue L’Etoile

de mer qu’il n’y avait, alors, rien compris. Peu importe. La guerre faisait peur aux enfants, «angle tu m’étrangles» et «une parabole s’ennuyait dans sa cage»… Il fallait bien que le poète prenne sa plume et s’y colle. Sinon qui d’autre?

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland