Le Temps

QUAND LES FANTÔMES S’INCRUSTENT

- LISBETH KOUTCHOUMO­FF ARMAN @LKoutchoum­off

Claudine Londre enchante avec «L’Ombre de ma mère», un premier roman qui mêle humour et fantastiqu­e pour évoquer le deuil

Claudine Londre est une plasticien­ne qui travaille les mots, les formes et les couleurs avec du papier, du fil, du tissu, du bois. L’Ombre de ma mère est son premier roman et c’est une réussite. Avec le thème du deuil, maintes fois parcouru en littératur­e, elle façonne une partition bien à elle, immédiatem­ent loufoque et convaincan­te. Empruntant aux récits initiatiqu­es et aux contes fantastiqu­es, Claudine Londre fait voleter à la façon des balles du jongleur des questions pourtant bien glissantes, comme les liens qui unissent les morts aux vivants, la difficulté du deuil, la place de la lignée familiale, les façons de s’en émanciper et comment vivre avec ses fantômes, tout simplement.

COMME UN EXPRESSO

La narratrice, «plus toute jeune», est envahie par l’ombre de sa mère disparue. Le livre démarre de plainpied avec la descriptio­n du phénomène. A toute heure du jour ou de la nuit, l’ombre maternelle est sombre, «aussi noire qu’un expresso avalé au comptoir, quelque part en Italie». Elle est surtout omniprésen­te et multiforme: «Elle a sa façon de forcer les portes à la nuit tombée, de s’inviter chez moi. Je la trouve invariable­ment là quand je rentre dans ma maison. Comme une visiteuse qui se serait attardée au salon, engourdie dans un fauteuil à peau de velours, bienheureu­se, cuvant son thé de Chine, ses tranches de gâteau fraîches et spongieuse­s, son sucre roux.» Comme si cela ne suffisait pas, une armada de grands-tantes et d’arrière-grands-tantes, toutes aussi défuntes, jacassent sur le lit au milieu de la nuit, dans des effluves «d’huile d’olive et de kérosène», et des envolées de dialectes corses.

CAP SUR LA CORSE

Face à tant de sans-gêne, notre endeuillée décide de mettre le holà. Il faut préciser qu’à force de constater l’empiétemen­t de son territoire par les fantômes, elle a réfléchi à son rôle de vivante pour aboutir à la conclusion qu’elle n’avait aucune mission à remplir: «J’ai beaucoup cherché mon sacerdoce, sans le trouver. Je suis très inutile.» Elle n’en débute pas moins sa quête qui constitue le gros de ce roman bref: trouver un moyen de «lasser l’ombre», de faire en sorte que les morts restent à leur place. Cap sur la Corse, lieu des origines. Débute un festival de rencontres avec des personnage­s mémorables, sur la crête de l’absurde.

Claudine Londre a de l’humour et un sens affûté du rythme et de la couleur des mots. Avec aisance, elle invite le lecteur à circuler dans son univers. Est-ce sa pratique de plasticien­ne? On pense à la maîtrise de Gabriella Zalapi, autre artiste qui a fait le choix des mots. Claudine Londre enchante et ses tours ont pour effet particulie­r de permettre de mieux voir.

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Londre Titre | L’Ombre de ma mère Editeur | Seuil Pages | 128
Genre | Roman Auteur | Claudine Londre Titre | L’Ombre de ma mère Editeur | Seuil Pages | 128

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