Femmes de foot ou le jeu flamboyant de l’autre Barça
La section féminine du FC Barcelone se charge d’entretenir la flamme allumée par Johan Cruyff, en pratiquant un jeu attrayant basé sur la maîtrise du ballon. Les joueuses sont désormais des modèles pour les nouvelles générations
La Ligue des champions reprend ce mardi. Mais si on parlait aussi de la Ligue des championnes? C’est le choix opéré par «Le Temps», qui, en six épisodes, explore les multiples visages du football féminin. Premier volet avec le Barça féminin, qui a repris à une section masculine en perdition le flambeau du beau jeu imaginé par Johan Cruyff.
Durant la phase de poule de la Ligue des champions, «Le Temps» s’intéresse à six équipes emblématiques de sa petite soeur, la Ligue des champions féminine de l’UEFA, que nous préférons appeler la Ligue des championnes.
Johan Cruyff n'aurait pu rêver de meilleures ambassadrices. C'est dans le stade qui porte son nom, inauguré l'an dernier au sein de la cité sportive du FC Barcelone, que joue l'équipe qui, de l'avis de tous, «représente aujourd'hui le mieux l'ADN du club» tel que défini et façonné par le génial Néerlandais: le Barça féminin.
Avec ses classiques rondos (aussi appelés toros ou «5 contre 2») qui rythment le début de chaque entraînement, son 4-3-3 immuable et son souci constant du beau jeu, le FC Barcelona Femeni est une référence en Espagne et au-delà de ses frontières. La formation dirigée depuis janvier 2019 par Lluis Cortes vient de remporter ses quatre premiers matchs de la saison: trois sur le score de 6-0 et un 4-0 face au Real Madrid, ex-CD Tacon.
«Lorsque l'équipe se déplace en Europe, tout le monde fait l'éloge de son jeu», note Begoña Villarrubia, la journaliste qui couvre le football féminin pour le quotidien sportif catalan Mundo Deportivo. «Des joueuses telles qu'Alex Morgan, Dzsenifer Marozsan ou Megan Rapinoe ne cachent pas leur admiration pour le Barça.» Cette dernière, Ballon d'or France Football 2019, s'est fendue d'une déclaration d'amour aux Blaugrana en juin dernier. «Je porte le Barça dans mon coeur, a-t-elle expliqué sur BeIN Sports. C'est mon équipe préférée, pour sa manière de jouer spectaculaire, cela m'inspire de les regarder.» A 34 ans, la meilleure ennemie de Donald Trump a confié qu'elle n'écartait par l'idée de revenir évoluer un jour sur le Vieux-Continent, et en particulier sous la tunique blaugrana.
Professionnelles à 100%
Avec une première finale de Ligue des champions en 2019 (défaite 4-1 contre l'Olympique Lyonnais) et une demi-finale cet été au Final 8 de Saint-Sébastien, le club suit une progression constante, entamée il y a une vingtaine d'années. L'équipe féminine du Barça est une section officielle depuis 2001, bien avant que cela ne soit à la mode dans les grands clubs européens. Mais longtemps les joueuses durent se débrouiller par leurs propres moyens, le club mettant simplement à leur disposition un terrain et des équipements.
Lors de la saison 2015-2016, le Barça féminin se professionnalise, à l'instar du basket ou du handball, ce qui permet à l'ensemble des joueuses de se consacrer enfin à 100% au football. «L'équipe a alors commencé à s'entraîner dans les installations sportives du club, elle été dotée d'un staff complet, avec une équipe médicale, un diététicien… Et des ressources propres», énumère Begoña Villarrubia. Il y a deux ans, la marque Stanley (qui vend des produits pour le bricolage et le jardinage) est devenue le sponsor maillot de la section, moyennant 3,5 millions d'euros par an, assurant ainsi son autofinancement.
Entraîneur de 2006 à 2017, Xavi Llorens est l'architecte de ce Barça de «tiki-taka». Sous son impulsion, l'équipe adopte la philosophie de Johan Cruyff et s'appuie sur la cantera (centre de formation) blaugrana. «Lorsque j'ai pris l'équipe en main, notre jeu se résumait à des défenseuses athlétiques qui envoyaient de longs ballons devant à des attaquantes rapides, se remémore Llorens. Sur dix occasions de but, si trois finissaient au fond, c'était parfait. Il n'y avait pas de volonté de partir de la défense, puis de construire au milieu de terrain pour enfin arriver à générer une action de but. Le jeu était beaucoup plus direct et plus physique. A cette époque, des équipes comme l'Athletic Bilbao, Levante ou l'Atlético de Madrid nous dominaient. Il a fallu changer ça et apprendre à nos joueuses à prendre le contrôle du jeu, qui est pour nous la meilleure voie vers la victoire. On a commencé à faire partie des meilleures équipes de la Liga, puis à gagner des Coupes de Catalogne et d'Espagne.»
«J’ai l’ADN Barça en moi»
Grâce à leur jeu offensif de possession et de combinaison, les Barcelonaises décrochent quatre titres consécutifs de championnes d'Espagne, de 2012 à 2015. Comme chez les garçons, les entraînements sont axés intégralement autour du ballon. «Ici, on commence chaque séance par le célèbre rondo, puis on continue avec des exercices de conservation du ballon dans des espaces réduits, témoigne l'internationale espagnole Aitana Bonmati (22 ans, 20 sélections, 4 buts). L'idée est de jouer vite, en faisant un minimum de touches de balle.»
Symbole de la Masia, le célèbre centre de formation barcelonais, l'habile milieu relayeuse a été biberonné au «tiki-taka» dès son arrivée au club, à l'âge de 13 ans. «J'ai toujours aimé jouer comme ça, avec le ballon au sol, en privilégiant les passes courtes et un minimum de touches de balle. Ça n'a pas été difficile pour moi de m'adapter. Je n'ai pas un physique extraordinaire, je ne cours pas autant que peuvent le faire les joueuses d'autres équipes, mais j'ai vraiment l'ADN Barça en moi. La maîtrise des espaces et la conservation du ballon sont à mes yeux deux éléments fondamentaux.»
Rien d'étonnant quand elle évoque ses idoles de jeunesse. «Quand j'étais enfant, le football féminin n'était pas encore très suivi et je ne connaissais pas tellement de joueuses. Du coup, je suivais plutôt le football masculin. Je regardais tous les matchs du Barça et j'étais fan de Xavi et de sa manière de sentir le jeu. J'aimais aussi beaucoup Iniesta. Tous les deux formaient un duo extraordinaire. Ce sont deux joueurs très intelligents qui avaient cette capacité à simplifier n'importe quelle situation de jeu.»
Enfin des modèles féminins
Comme eux, Aitana Bonmati possède souvent un coup d'avance sur ses rivales, en gardant la tête levée en toutes circonstances, afin de prendre un maximum d'informations sur le jeu. «Avant de recevoir le ballon, j'essaie toujours de regarder tout autour de moi, à droite, à gauche et derrière, pour savoir où se trouvent mes partenaires et mes adversaires, comme pouvaient le faire Xavi et Iniesta. Cela me permet ensuite de choisir la meilleure passe à réaliser, de me projeter dans l'action à venir.» «Aujourd'hui, les filles de nos équipes de jeunes ne veulent plus être Andres Iniesta ou Leo Messi. Elles veulent être comme Jenni Hermoso, Alexia Putellas ou Mapi Leon», s'enorgueillit Xavi Llorens, désormais recruteur pour les catégories de jeunes de la section féminine.
«Mais le football espagnol ne produit pas encore de grandes attaquantes, regrette celui qui fut l'un des premiers entraîneurs de Lionel Messi. On doit encore faire appel à des étrangères à ces postes-là, car ce sont elles qui, aujourd'hui, font la différence devant. Il y a quelques années, je me souviens que nos adversaires nous disaient: «Qu'est-ce que vous jouez bien… jusqu'à ce que vous arriviez à la surface de réparation. Pour marquer, vous auriez besoin de recruter des joueuses de chez nous.» On avait du mal à conclure nos actions. A l'époque, on jouait avec Mariona Caldentey, Jenni Hermoso et Alexia Putellas devant. Ces trois joueuses sont toujours chez nous, mais elles évoluent désormais au milieu du terrain. Nos attaquantes sont [la Norvégienne] Caroline Hansen, [la Nigériane] Asisat Oshoala et [la Néerlandaise] Lieke Martens, qui ont davantage le but dans le sang.»
Pour concurrencer les grandes écuries européennes et suivre l'évolution du football féminin, le Barça ne peut plus se contenter de tout miser sur la technique. «Il faut que ce travail soit accompagné d'une progression physique, car c'est un élément de plus en plus important, relève Aitana Bonmati. Les équipes qui ont remporté la Coupe du monde ou la Ligue des champions ces dernières années sont un cran au-dessus à ce niveau-là.» Pour la première fois cette saison, la section féminine du Barça se soumet donc parfois à deux sessions d'entraînement quotidiennes. «Le staff a décidé de travailler l'aspect physique, car il s'est rendu compte qu'il y avait encore un écart important de ce point de vue là avec des équipes comme l'Olympique Lyonnais, Wolfsburg et le Paris Saint-Germain», indique la journaliste Begoña Villarrubia.
Mais le Barça refuse de sacrifier sa philosophie de jeu sur l'autel du succès. «Il faut qu'on intègre cet élément à notre jeu tout en restant fidèle à notre ADN, estime ainsi Aitana Bonmati. J'ai toujours pensé que nous finirions par triompher en Europe en étant fidèles à nos idées.»
Son ancien coach, Xavi Llorens, qui a lancé la pépite blaugrana dans le grand bain en 2016, tient le même discours. «On doit continuer à jouer selon nos principes pour viser chaque année les demi-finales de la Ligue des champions, juge Xavi Llorens. Comme disait Johan [Cruyff], pour gagner des finales, il faut les jouer. Il faut qu'on engrange encore de l'expérience pour finir par remporter des titres européens. On veut être l'Olympique Lyonnais du futur, mais c'est de plus en plus difficile, car il y a de plus en plus de bonnes joueuses et de bonnes équipes…» ▅
«Aujourd’hui, les filles de nos équipes de jeunes ne veulent plus être
Leo Messi. Elles veulent être comme Jenni Hermoso ou Alexia Putellas»
XAVI LLORENS, RECRUTEUR POUR LES CATÉGORIES DE JEUNES
DE LA SECTION FÉMININE
Le Barça refuse de sacrifier sa philosophie de jeu sur l’autel du succès