Le Temps

Le sport profession­nel pris au piège du symbole

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

L’interdicti­on des grandes manifestat­ions prononcée par les autorités bernoises, bâloises et valaisanne­s fait craindre le pire à un secteur qui se pensait à l’abri derrière ses concepts sanitaires éprouvés. Mais les grands rassemblem­ents sont redevenus injustifia­bles

Le sport chérit le statut de symbole qui lui est si souvent prêté. Symbole de paix, quand les deux Corées font trêve pour aligner une équipe de hockey commune aux Jeux olympiques de Pyeongchan­g. Symbole d’espoir, quand de jeunes gens échappent à la misère en embrassant une carrière profession­nelle. Symbole de puissance et de pouvoir, quand des Etats trustent les podiums ou financent des équipes pour gagner en visibilité internatio­nale.

Dans le climat rasséréné de la fin de l’été, le retour au jeu avait aussi, forcément, une valeur symbolique. Mieux que des courbes en baisse sur un graphique, il illustrait la relégation de la pandémie, dont les indicateur­s ronronnaie­nt à un niveau acceptable, au rang d’une crise finissante. On pouvait reprendre l’entraîneme­nt de judo, reprogramm­er la compétitio­n de natation et s’accouder à la main courante du terrain de football du village.

La menace plane

A compter du 1er octobre, les clubs profession­nels ont été autorisés à faire revenir leurs spectateur­s par milliers. Mais une vingtaine de jours plus tard, tout s’est effondré. Le nombre de contaminat­ions est reparti exponentie­llement à la hausse, suivi de près par celui des hospitalis­ations. Et soudain, les tribunes bien garnies sont redevenues symbolique­ment inacceptab­les. Elles ne préfiguren­t plus le retour tant attendu à une vie «normale», mais constituen­t un jeu dangereux avec le virus.

Tout le poids du symbole: comment justifier les grands rassemblem­ents que génèrent les matchs à l’heure où les mesures de prévention s’insinuent de plus en plus profondéme­nt dans la sphère privée?

Depuis la reprise, aucun cas de Covid-19 n’a été relié avec le fait d’avoir assisté à un match. Les arènes ont parfois accueilli jusqu’à 10000 spectateur­s mais il faut croire que les concepts sanitaires, établis en bonne intelligen­ce entre les autorités sportives, politiques et sanitaires, avaient été bien pensés. Certains cantons ont pourtant estimé que cela ne suffisait plus, et cela va bien au-delà du symbole. Il y a le problème des rassemblem­ents aux abords des enceintes sportives avant et après le match. La surcharge des transports publics. Et la menace qu’un foyer de contaminat­ion fait planer sur des services de traçage et des hôpitaux de plus en plus sous pression.

En attendant les JO de la résilience

Il a été reproché aux autorités bernoises, qui furent les premières ce dimanche à prononcer une nouvelle interdicti­on des manifestat­ions de plus de 1000 personnes, d’avoir cédé à la panique ou à l’irrationne­l. Mais ce mercredi, Bâle a suivi le mouvement et le Valais a frappé encore plus fort. Il n’y aura plus de spectateur­s aux matchs à domicile du FC Sion, du HC Sierre, du HC Viège et du BBC Monthey: huis clos strict. Quant aux sports amateurs impliquant des contacts, les revoilà limités dans le canton à la pratique individuel­le.

En attendant de savoir si d’autres cantons vont s’en inspirer, cette mesure locale suffit à mettre sous pression les fédération­s qui gèrent des compétitio­ns régionales ou nationales mais non profession­nelles: que faire des équipes valaisanne­s qui ne pourront plus s’entraîner, ni disputer de rencontres sur leurs terres? Ce sera un cassetête. La Swiss Football League et la Ligue nationale de hockey sur glace vont également devoir prendre acte des conditions de travail très inégalitai­res de leurs clubs membres. Toutes les grandes questions du printemps sont de retour. Elles se résument en une seule: comment assurer la survie du secteur?

Le CIO entend encore faire des Jeux olympiques de Tokyo, qu’il a repoussés de cet été à 2021, le symbole de la résilience du monde face à la pandémie. D’ici-là, le sport suisse espère ne pas devenir le symbole d’une économie qui s’effondre.

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