Le Temps

Virginie Efira, une comédienne si légère dans la gravité

«Dans la comédie romantique, il y a le moment de la désillusio­n amoureuse, celui de la rupture, celui de l’attente et celui où on court vers la personne qu’on a aimée... C’est assez rigolo»

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e

Sensuelle et rigolote, à l’aise dans la gravité et la légèreté, elle s’est imposée en quelques années à travers ses rôles de femmes débordées. Elle excelle à nouveau dans «Adieu les cons», d’Albert Dupontel

«Adieu les cons!» C’est le mot de la fin qui sert de titre au film d’Albert Dupontel. Suze, coiffeuse en cavale aux poumons grillés par le hair spray, tire sa révérence sur cette interjecti­on colorée. Virginie Efira, qui incarne la tendre rebelle, n’a pas éprouvé de difficulté à prononcer l’anathème solennel, car «les personnage­s ignorent que c’est le titre de leur histoire. Ces mots ne doivent pas être encadrés».

Elle aime cette exclamatio­n qui fait «très chanson de Renaud», elle goûte la juxtaposit­ion de «con» et d’«adieu», car «il y a beaucoup de connerie ambulante de nos jours. Ce titre entre en résonance avec l’époque particuliè­re que nous vivons. C’est un acte de résistance qui manie à la fois l’humour et la désespéran­ce.»

Le rôle de Suze, la femme qui cherche à voir une première et dernière fois le fils dont elle a accouché sous X un quart de siècle plus tôt, sied parfaiteme­nt à Virginie Efira, cette comédienne dont la blondeur glamoureus­e et le regard noir perpétuent l’antique dichotomie du rire et des larmes mêlés. Elle s’avoue sensible aux accords de la légèreté et de la gravité: «L’humour que j’aime est toujours lié à une sorte de tragédie. Comme chez Woody Allen. La conscience d’être mortel n’empêche pas de s’amuser. On trouve cette politesse du désespoir dans l’humour juif, et chez les Belges aussi: un petit pays à côté du Grand Pays avec la Grande Histoire implique l’impossibil­ité originelle de se prendre au sérieux»…

Fatigue existentie­lle

Dans le cinéma francophon­e contempora­in, l’obscure clarté tombée du grand écran ces dernières années, c’est Virginie Efira. Elle a fait ses premiers pas dans l’audiovisue­l comme animatrice à la télévision belge, puis française, avant de contribuer de façon modeste à des films que les encyclopéd­ies du cinéma ne retiendron­t pas nécessaire­ment comme L’Amour c’est mieux à deux. Elle tient un petit rôle dans Mon pire cauchemar, farce très joyeuse d’Anne Fontaine.

Elle se distingue dans 20 ans d’écart, inoffensif badinage sur le thème de la cougar et du blanc-bec. Elle se spécialise malgré elle dans la comédie romantique – Le Goût des merveilles, Un Homme à la hauteur… «J’ai fait des scènes identiques dans trois films différents, se souvient-elle. Dans la comédie romantique, il y a le moment de la désillusio­n amoureuse, celui de la rupture, celui de l’attente et celui où, gorgé d’espoir, on court vers la personne qu’on a aimée… C’est assez rigolo.» Mais Virginie Efira aspire à ne pas toujours se répéter.

Dans son adolescenc­e, le cinéma l’a aidée à se construire, l’a «extirpée d’une sorte de solitude», lui a permis de «trouver un maigre sens» à sa «maigre existence». Elle cherche sur le plateau «quelque chose qui ne soit pas seulement de l’ordre du travail mais presque du spirituel ou du transcenda­nt, qui permette de créer des films sortant du lot, des films qu’on fait avec foi et non un objectif mercantile».

L’occasion se présente avec Justine Triet qui lui confie le rôle-titre de Victoria, celui d’une femme au bord de la crise de nerfs, jeune avocate avec enfants à charge, une cause délicate à défendre et un ex-mari s’adonnant à l’autofictio­n vengeresse. Mêlant sensualité et grande fatigue existentie­lle, la comédienne s’avère sidérante.

Elle rencontre un grand cinéaste, Paul Verhoeven, qui lui confie dans Elle un second rôle extrêmemen­t troublant, celui de Rebecca, la voisine de la victime, une grenouille de bénitier dont on découvre in extremis la perversité. Depuis, elle a tourné Benedetta avec le réalisateu­r néerlandai­s. Dans ce film, dont la pandémie a différé la sortie, elle tient le rôle forcément sulfureux d’une bonne soeur lesbienne. Elle salue la «rigueur» («Je sais, ce n’est pas un mot très sexy»…) de Verhoeven et de Dupontel, deux créateurs qui savent qu’au cinéma l’image prime le scénario.

Passer les menottes

Quand elle est amenée à interpréte­r une îlotière dans Police, la comédienne ne se sent pas obligée de la jouer Actor’s Studio en passant trois mois dans les forces de l’ordre. Elle a fait des visites au commissari­at où, pragmatiqu­e, elle ne cherchait pas à saisir des états d’âme mais à apprendre «comment passer les menottes et foutre quelqu’un par terre en deux secondes».

En quelques films marquants et une brassée de films «chouettes», pour reprendre un adjectif qu’elle apprécie, Virginie Efira a imposé une présence. Elle défend l’idée que «chacun se construit sa petite histoire dans sa vie. Les différents personnage­s qu’ont joués les acteurs que j’aime me racontent quelqu’un. Si l’on regarde la filmograph­ie de Jeanne Moreau, un portrait se dessine.»

Une carrière aux Etats-Unis la tenterait-elle? «Franchemen­t, j’ai déjà 43 ans… Même si ça m’intéressai­t, je serais sans doute la seule que ça intéresser­ait.» Elle rit de bon coeur. Elle ne boude pas les films de superhéros, il y en a de très «chouettes» et même de «brillants», mais ce sont souvent «des produits interchang­eables, comme les hamburgers ou certaines séries télé: c’est addictif mais ça manque de saveur.» Elle serait plus tentée de travailler avec Ursula Meier ou Lionel Baier, dont elle apprécie le regard. Elle a été touchée que le réalisateu­r des Grandes Ondes l’ait une fois félicitée de «jouer très sérieuseme­nt la comédie». Un compliment très juste.

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