Combiner deux métiers pour s’épanouir… en toute sécurité. Nos offres d’emploi
Communicant-écrivain, architecte-brasseur de bière ou créatrice de contenus digitaux-photographe: combiner deux emplois par choix permet souvent de s’épanouir sans prendre trop de risques. Un modèle qui pourrait bien devenir toujours plus fréquent
Quatre jours sur sept, Débora Pons, 22 ans, travaille chez Swisscom. Elle crée des contenus digitaux pour la communication de l’entreprise. Mais les trois jours restants, à savoir les vendredis et les week-ends, elle est photographe à son compte, et ce, depuis deux ans. A des mariages, des festivals, pour des photos de famille. Une situation temporaire? Pas forcément. «Si la photo était mon gagne-pain à temps plein et que je devais me battre pour trouver des clients, j’aurais peur de perdre ma passion, expose la jeune femme. C’est avec ces deux activités que je trouve mon équilibre.» Le coronavirus l’a convaincue que cette option était la bonne: «Beaucoup de mandats photos ont été annulés. Mon emploi chez Swisscom, lui, est resté.»
Combiner deux emplois n’est pas toujours un choix. En Suisse, les multi-actifs représentent 8,7% de la population active, selon les chiffres 2019 de l’OFS. Au cours des trois dernières décennies, la part de multi-actifs a sensiblement progressé. Parmi eux, beaucoup le sont pour joindre les deux bouts. Mais pour d’autres, c’est une philosophie de vie. Une façon de cumuler raison et passion. On les appelle parfois slasheurs. Les millennials, en quête de sens et de flexibilité, sont souvent vus comme des adeptes de ce jonglage professionnel.
«Etre davantage acteur de sa vie»
Edna Didisheim, fondatrice du cabinet Didisheim, psychologue du travail FSP et consultante en ressources humaines, observe aussi que d’autres profils sont concernés. «Certains travailleurs, souvent bien formés et autour de l’âge de 45 ans, se posent des questions de sens mais souhaitent garder la solidité de leur emploi et de leurs revenus.» Le cumul compte alors des avantages: «Il permet souvent un plus grand équilibre psychologique, le sentiment d’être davantage acteur de sa vie et répond à un besoin de contribuer autrement à la société qu’avec son premier emploi», liste la psychologue.
Si un homme est convaincu par ce modèle, c’est bien Laurent Koutaissoff. Le vice-chancelier et chef du Bureau d’information et de communication du canton de Vaud vient aussi de publier son troisième roman, Atlas. Il écrit depuis très jeune, et c’est en 2010 qu’il publie son premier roman. L’écrivain ne se considère pourtant pas comme tel: «Evidemment, c’est une double activité, mais j’ai de la peine avec cette appellation que je vois comme une reconnaissance à la fin d’une carrière littéraire. Mon métier est celui de la communication, avec une équipe et des objectifs. De l’autre côté, je suis seul face à moimême et à mon envie d’écrire.»
L’écriture est un véritable besoin pour Laurent Koutaissoff: «Je peux me passer d’écrire un communiqué, j’ai un peu plus de peine à me passer de création littéraire», sourit-il. Pourtant, le vice-chancelier ne se voit pas abandonner son activité principale. C’est un métier qu’il aime et outre le paramètre financier, observer la société à travers son emploi l’enrichit et nourrit son inspiration.
Debout à 5h15
Si cette double vie s’avère très épanouissante, elle n’en est pas moins éprouvante. «Je me lève souvent vers 5h15 et j’écris jusqu’à 6h30, avant de commencer ma journée de travail. Ça demande une certaine discipline. J’écris un peu comme les Anglais vont pique-niquer: s’ils regardent la météo, ils n’y vont jamais, illustre
Laurent Koutaissoff. C’est parfois difficile parce qu’il faut accepter d’interrompre abruptement l’activité littéraire pour reprendre son activité professionnelle.»
Débora Pons admet aussi que certaines périodes sont particulièrement intenses: «Ce n’est pas facile quand je dois consacrer beaucoup d’heures à mes photos le soir, après une grosse journée chez Swisscom.» Le risque de ce jonglage parfois acrobatique est bien la surcharge de travail et la difficulté à séparer professionnel et privé. Il faut donc accepter, estime Laurent Koutaissoff, qu’une des deux activités demeure prioritaire.
C’est ainsi que René Schori, 47 ans, vit ses deux métiers. D’un côté, à temps plein, il est architecte à l’Etat de Genève, un métier qui le passionne. De l’autre, il est brasseur: sa bière s’appelle la Schori’s Beer. Une activité qu’il a commencée en 2011 mais qu’il a démarrée officiellement en 2014, et pour laquelle il a demandé une autorisation à son employeur.
Même si c’est en soi une seconde activité professionnelle, René Schori la voit comme détachée de toute contrainte. «Je n’ai pas d’obligation ou d’exigence de rendement. Ça me coûte d’ailleurs plus d’argent que ça ne m’en rapporte, rit-il. Je brasse quand ça me chante, souvent les week-ends, quelquefois le soir.» L’architecte brasse pour des restaurants, des commandes de particuliers, ou pour des festivals.
La retraite dans le viseur
Mais comme Débora Pons ou Laurent Koutaissof, il n’envisage pas que sa seconde activité prenne le pas sur la première. «Ça n’a jamais été un but en soi de me lancer à 100%. Sauf peutêtre au moment de ma retraite. Je ne peux pas la concevoir assis dans un canapé.»
Ces profils seront-ils toujours plus fréquents? Edna Didisheim y croit. «Contrairement à une véritable réorientation, cette combinaison de deux emplois permet de garder un pied dans une certaine sécurité. Et aujourd’hui, les gens n’ont plus forcément envie d’être cantonnés à une seule identité. Ils ont envie d’explorer plusieurs univers. Le coronavirus exacerbe aussi cette tendance, avec des personnes qui s’interrogent sur ce qu’elles veulent vraiment et se demandent si elles ne sont pas en train de passer à côté de leur vie.»
Côté employeur aussi, ces profils peuvent générer un intérêt nouveau: «Nous nous rendons de plus en plus compte de l’importance de la complémentarité, constate Edna Didisheim. Beaucoup d’entreprises recherchent la souplesse d’esprit. Cumuler deux emplois en est une preuve et contribue à la développer.»
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«Les gens n’ont plus forcément envie d’être cantonnés à une seule identité » EDNA DIDISHEIM, PSYCHOLOGUE DU TRAVAIL FSP