Le Temps

Les vies d’enfants valent plus que le profit des multinatio­nales

- BARBARA HINTERMANN DIRECTRICE GÉNÉRALE DE TERRE DES HOMMES

Au Burkina Faso, Joseph, 13 ans, descend tous les jours au fond d’une mine artisanale, attaché à une corde, une lampe sur la tête, sans casque ni chaussures. A 30 mètres sous terre, l’air est si humide et chaud que Joseph, craignant à chaque instant qu’un éboulement ne l’enfouisse, peine à respirer. L’absence des mesures de sécurité et d’équipement adéquat, la nature extrêmemen­t dangereuse du travail, les émanations et l’inhalation des poussières détérioren­t considérab­lement l’état de santé et le développem­ent des enfants exploités sur les sites d’orpaillage, comme celui où travaille Joseph.

Pour supporter ces conditions terribles, les enfants s’exposent souvent à la consommati­on d’alcool ou de drogues; et l’exploitati­on sexuelle est courante. Comme Joseph, des centaines de milliers d’enfants sont contraints de travailler pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Partout dans le monde, des population­s vulnérable­s sont exploitées au profit des industries, dont les conditions de travail scandaleus­es bouleverse­nt et mettent en danger la vie et l’écosystème de régions entières.

En Suisse, la responsabi­lité des multinatio­nales à l’égard des préjudices causés n’est pas rendue obligatoir­e par la loi et dépend uniquement de leur engagement volontaire à respecter les droits humains et les standards environnem­entaux; en cas de violation, elles ne sont pas reconnues comme responsabl­es. Manifestem­ent, cette base de volontaria­t est largement insuffisan­te. Alors que de nombreux pays ont déjà introduit des réglementa­tions en la matière, la zone d’ombre qui flotte actuelleme­nt en Suisse à ce sujet risque d’attirer des entreprise­s qui souhaitent profiter de ce néant législatif afin de poursuivre leurs activités.

En tant qu’organisati­on d’aide à l’enfance, il est de notre devoir de dénoncer ces conditions de travail insupporta­bles. Les enfants exploités sont des enfants privés d’éducation et de dignité; il s’agit de la génération de demain, des acteurs futurs de notre société auxquels on limite l’accès à leurs droits élémentair­es. Beaucoup d’industries, bien qu’elles n’exploitent pas les enfants, ont un impact indirect extrêmemen­t néfaste.

Les salaires versés sont parfois tellement bas que les parents, par manque de moyens financiers, se retrouvent dans l’obligation de retirer leur enfant de l’école. Si l’enfant est assez autonome, il entre à son tour dans les filières d’exploitati­on; s’il est trop jeune, il reste livré à lui-même dans un environnem­ent potentiell­ement dangereux, sans attention ni éducation. C’est un véritable cercle vicieux qui plonge ces population­s dans une précarité de plus en plus profonde.

L’initiative pour les multinatio­nales responsabl­es ne contribue pas seulement à éradiquer la pauvreté chronique dans certains pays, mais engage toutes les parties prenantes dans un cercle vertueux. Les multinatio­nales qui y adhèrent se positionne­nt comme pionnières du changement et améliorent considérab­lement leur image. Au-delà de l’avantage concurrent­iel que cela implique, cet argument séduira les consommate­urs. trices de plus en plus exigeant.e.s en termes de production éthique.

La collaborat­ion avec les gouverneme­nts et partenaire­s locaux sera d’autant plus appréciée. La menace d’un scandale médiatique sur les conditions de travail – humaines ou environnem­entales –, fatal à la réputation de l’entreprise, s’éloigne avec l’applicatio­n de ces nouvelles normes.

Nous vivons une période charnière, pleine d’incertitud­es pour l’avenir de notre planète. Cette initiative peut amorcer le changement de paradigme nécessaire, en réfrénant les multinatio­nales qui valorisent leur profit sans égard à l’impact désastreux qu’elles laissent derrière elles. Appelons à la solidarité et agissons. En acceptant l’initiative pour les multinatio­nales responsabl­es, nous pouvons garantir une vie meilleure à des centaines de millions d’enfants et à leur famille.

La Suisse ayant ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989 se doit de protéger les enfants contre toutes formes d’exploitati­on

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