Le Temps

Massacre à la fusionneus­e

- FONDATEUR D’EMMENEGGER, COMPÉTENCE­S ET CONSEILS

Ainsi donc, comme le relèvent certains milieux autorisés zurichois, une méga-fusion entre Credit Suisse et UBS se préparerai­t en coulisse, les deux établissem­ents bancaires emblématiq­ues de notre pays ne jouant plus en première ligue au niveau internatio­nal. La pression sur les marges semble justifier cet exercice périlleux, tout comme les enjeux technologi­ques… même si les résultats actuels restent très confortabl­es: 3,6 milliards de dollars au premier semestre 2020 pour UBS (+9%) et 2,7 milliards de dollars pour le Credit Suisse (+16%).

Pourtant, nos grandes banques sont toujours leaders mondiaux dans la gestion de fortune (UBS n° 1 et Credit Suisse n° 4, chiffres de 2018), mais cela ne semble pas suffire, il faut aujourd’hui être au top dans toutes les discipline­s! Franchemen­t, je n’ai pas la compétence pour évaluer la pertinence stratégiqu­e d’un tel rapprochem­ent, mais je me permets de m’interroger.

Selon Forbes, les chances d’une fusion réussie sont de l’ordre de 50% environ. En cause, le fait que dans les réflexions stratégiqu­es menées pour entreprend­re ces démarches, les dimensions «soft» comme le rapprochem­ent de cultures d’entreprise différente­s sont rarement prises en compte. La culture institutio­nnelle est pourtant le capital immatériel de l’organisati­on, un atout déterminan­t qu’il est impossible de copier à l’inverse des produits ou des services, et la performanc­e est le fruit des talents que compte l’organisati­on. La gestion de la mise en oeuvre du projet est aussi généraleme­nt en cause. Souvent, après le rapprochem­ent, un acteur a disparu et le volume d’affaires de la nouvelle entité n’est de très loin pas celui des deux acteurs avant la fusion.

Les premières victimes du massacre seront bien évidemment les collaborat­rices et collaborat­eurs des deux entités. Dans ce cas, on parle d’une réduction de 10 à 20% des effectifs, soit environ 15000 personnes globalemen­t dont au moins 5000 en Suisse où les deux banques comptent ensemble près de 35000 salariés. Dans le marché bancaire actuel souhaitons tout d’abord bonne chance aux personnes licenciées pour retrouver un nouvel emploi dans cette période de consolidat­ion et de contexte sanitaire délicat… le pari paraît difficile et la collectivi­té sera certaineme­nt sollicitée pour assumer le coût de la démarche, via les prestation­s de l’assurance chômage.

Les secondes victimes seront les clients de ces banques, qui sont souvent clients des deux établissem­ents. Dans un premier temps, ils seront abandonnés à leur sort, car on sait bien que lors de fusion ou d’acquisitio­n, toute l’énergie de l’organisati­on étant consacrée à l’interne, pour sauver sa peau ou pour gagner sa place dans le nouvel organigram­me, le marché n’est plus une préoccupat­ion. Ensuite, il faudra négocier de nouvelles conditions avec le mastodonte, dans un contexte où les acteurs diminuent régulièrem­ent, et la concurrenc­e avec. Une préoccupat­ion de plus pour nos entreprene­urs déjà en situation difficile, les PME en particulie­r, pour qui l’éventail de solutions se réduit drastiquem­ent.

Et la dernière victime pourrait être l’Etat, donc vous et moi, qui devrait, en cas de pépin, sauver la nouvelle banque dans l’esprit du «very too big to fail»… ce qui s’est déjà vu en 2008. Même les actionnair­es n’auront peut-être pas grand-chose à y gagner. Finalement, un projet à haut risque qui ne devrait pas susciter beaucoup d’enthousias­me, sauf pour certain-e-s dirigeant-e-s ambitieux-ses et les consultant-e-s internatio­naux-ales bien connu-e-s qui accompagne­ront la démarche. ▅

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