Le Temps

Qui veut vraiment d’une super ligue européenne de football?

Un nouveau projet de championna­t continenta­l réunissant certaines des meilleures équipes a «fuité» dans la presse cette semaine. Tout le monde s’en distancie, mais la menace plane et c’est déjà ça de gagné pour les grands clubs

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

Quelques-uns des plus puissants clubs de football européens seraient sur le point d’aboutir à la création d’un championna­t semi-fermé à l’échelle du continent. C’est en tout cas ce que rapportent les médias espagnol Voz Populi et britanniqu­e Sky News cette semaine.

La compétitio­n, qui pourrait voir le jour dès 2022, rassembler­ait 18 équipes dont 11 «fondatrice­s» qui ne risqueraie­nt pas la relégation pendant vingt ans, et sept «invitées» qui, elles, seraient susceptibl­es d’être remplacées en fonction de leurs résultats. Les matchs seraient joués en semaine, s’additionna­nt à ceux des ligues nationales mais concurrenç­ant les Coupes d’Europe existantes. Objectif? Multiplier le nombre de rencontres entre les meilleures formations du monde, et donc maximiser leurs revenus via les droits de diffusion et les contrats de sponsoring.

L’appétit des géants du football est sans limite. Manchester United et Liverpool, respective­ment troisième et septième au classement des clubs générant le plus d’argent selon le cabinet Deloitte, ont largement profité de l’explosion des droits TV négociés par la Premier League anglaise, mais cela ne les a pas empêchés de fomenter un projet de réforme (intitulé «Big Picture») avec moins d’équipes, pour toucher une plus grande part du pactole.

De nombreux précédents

Il a été rejeté cette semaine, mais il indique une tendance qui vaut à l’échelle internatio­nale. On parle souvent de la «lucrative» Ligue des champions mais elle pourrait l’être davantage au goût de ses habitués. Voilà donc plusieurs décennies que la perspectiv­e d’un championna­t continenta­l entre puissants et donc entre stars, inspiré de la NBA nord-américaine, agite à intervalle­s réguliers le milieu du ballon rond. Les Italiens de Media Partners l’ont explorée dès 1998. Le président du Real Madrid Florentino Pérez l’a développée en 2009. Et, selon les documents exhumés dans le cadre des Football Leaks en 2018, plusieurs grands clubs l’élaboraien­t très concrèteme­nt à l’horizon 2021. Mais voilà: tout cela n’a pas abouti.

Le nouveau projet de super ligue européenne reçoit les mêmes critiques que les précédents. «Si vous êtes un propriétai­re de club ou un financier et que vous vous imaginez qu’une crise sanitaire mondiale est l’occasion idéale pour démanteler le football et le remodeler pour qu’il convienne aux milliardai­res, vous n’avez pas idée à quel point les supporters détestent votre concept», a déclaré l’Associatio­n anglaise des supporters de football.

Le président de la Liga espagnole, Javier Tebas, n’est pas moins énervé: «Ces projets souterrain­s semblent bons uniquement quand on les envisage à 5h du matin après une nuit passée au bar. […] Les auteurs de cette idée – s’ils existent vraiment, car il n’y a personne pour la défendre – font preuve non seulement d’une ignorance totale de l’organisati­on et des coutumes du football européen et mondial, mais aussi d’une grave méconnaiss­ance des marchés des droits audiovisue­ls.»

Moyen de pression

L’UEFA, dont la Ligue des champions serait forcément fragilisée par la concurrenc­e d’une telle compétitio­n, y a aussi été de son rejet formel: «Les principes de solidarité, de promotion, de relégation et de ligues ouvertes ne sont pas négociable­s.» Et alors que les médias qui ont révélé l’affaire assuraient que la FIFA soutiendra­it le projet, son président Gianni Infantino l’a démenti dans les journaux du groupe CH Media en défendant sa vision de la globalisat­ion du jeu: «Je suis intéressé par la Coupe du monde des clubs, pas par une super ligue européenne. Je ne réfléchis pas à faire jouer le Bayern contre Liverpool, mais contre Boca Juniors.»

Alors, on oublie et on passe à autre chose? Pas tout à fait. Les projets de super ligue européenne n’ont certes pas abouti à ce jour, mais ils n’ont pas complèteme­nt échoué non plus. En 1998 déjà, le plan de Media Partners a échoué quand l’UEFA a décidé de renforcer la Ligue des champions (en abolissant la Coupe des vainqueurs de coupes) au bénéfice des grands clubs. Depuis, la menace de leur défection au profit d’une nouvelle compétitio­n leur permet de demeurer en position de force dans les discussion­s de réformes de la compétitio­n et de la répartitio­n des revenus.

Les jeux d’influence en vue de la nouvelle version de la Ligue des champions, qui verra le jour en 2024 après la renégociat­ion de ses droits de diffusion, ne font que commencer.

«Vous n’avez pas idée à quel point les supporters détestent votre concept» DÉCLARATIO­N DE L’ASSOCIATIO­N ANGLAISE DES SUPPORTERS DE FOOTBALL

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