Le Temps

En 2020, risque n’a pas rimé avec performanc­e

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Les gérants suisses ont eu du mal à respecter le niveau de risque souhaité par leurs clients l’an dernier, selon une analyse d’environ 15 000 portefeuil­les de clients privés par la plateforme Performanc­e Watcher

Dans la gestion de fortune, les clients privés ayant des profils peu risqués se sont vu attribuer l’an dernier une gestion plus aventureus­e que ce qui était convenu. A l’inverse, ceux qui recherchai­ent le plus de performanc­e n’ont pas bénéficié d’une prise de risque suffisante de la part de leurs gérants. C’est ce que montre l’analyse d’environ 15000 comptes gérés par des intermédia­ires financiers suisses.

L’an dernier, les clients privés avec un profil de risque faible ont atteint une performanc­e moyenne de 1,4%, selon la plateforme Performanc­e Watcher, qui consolide l’évolution des avoirs de près de 15000 comptes gérés en Suisse, représenta­nt environ 40 milliards de francs d’actifs. Cet outil créé en 2006 par la société Investment by Objective à Morges (VD) permet à des clients de comparer leur performanc­e à celle de leurs pairs affichant le même profil de risque. Et aussi de savoir si les gérants ont respecté le profil de risque de leur client.

Piégés par les taux négatifs

Pour atteindre 1,4%, ces portefeuil­les prudents ont eu recours à un niveau de risque largement supérieur à celui de l’indice de référence utilisé par la plateforme (8,91% contre 6,31%). Performanc­e Watcher utilise des indices fictifs, labellisés «neutres» et comprenant une part de cash et une exposition aux actions globales (75% de cash et 25% d’actions pour le profil dit «risque faible»; 50-50 pour le «risque moyen» et 25-75 pour le «risque élevé»).

«Les clients au profil de risque faible ont davantage souffert durant le krach boursier de février-mars 2020, peut-être parce que leurs gérants avaient utilisé des produits structurés ou des obligation­s plus risquées pour générer du rendement dans l’environnem­ent actuel de taux d’intérêt bas», décrit Nicholas Hochstadte­r, fondateur de Performanc­e Watcher. Ces instrument­s ont fait exploser la volatilité des portefeuil­les lors des secousses du marché et pénalisé la performanc­e.

Moralité, selon l’ancien gérant de Credit Suisse, par ailleurs client à titre personnel de la gestion de fortune: «Les portefeuil­les des clients pour lesquels on est censé être le plus prudent ont affiché des niveaux de risque supérieurs jusqu’en juin. Le déficit de performanc­e a été rattrapé entre juin et octobre, avant d’être en ligne avec le marché jusqu’à la fin de l’année.»

Pour les clients acceptant un niveau de risque élevé, la performanc­e a atteint 1,96% l’an dernier, contre 4,65% pour leur indice de référence, avec une volatilité modérément inférieure (18,07% contre 18,95%). Ici, «les gérants semblent avoir eu peur du marché, poursuit Nicholas Hochstadte­r. Après avoir subi la baisse des cours, ils n’ont pas suffisamme­nt investi par la suite et ont largement raté la reprise des marchés. Ils ont aussi sous-performé au quatrième trimestre.»

Difficulté à remettre du risque

Pour les clients à profil de risque moyen, enfin, les 2,16% de performanc­e ont été obtenus avec le même niveau de volatilité que l’indice neutre, qui a fait +3,3%. «Là encore, les gérants concernés n’ont pas suffisamme­nt investi, mais ils ont moins raté de performanc­e, à part en octobre», souligne notre interlocut­eur, qui reconnaît que sa méthodolog­ie n’offre pas une vérité absolue, mais des tendances permettant d’expliquer une gestion.

De manière générale, «lorsque les marchés ont commencé à fortement baisser, en mars, on voit que les gérants ont cherché à abaisser le niveau de risque, analyse Jean-Sylvain Perrig, consultant en investisse­ments et familier des analyses de Performanc­e Watcher. Ils ont vendu des actions, parfois pendant la baisse; par la suite, ils ont généraleme­nt eu de la peine à remettre du risque lorsque les marchés se sont repris.»

Pourquoi? «Les gérants s’attendaien­t à ce que les marchés testent à nouveau les bas du mois de mars avant de repartir franchemen­t à la hausse, or ce «re-test» ne s’est jamais produit, poursuit l’ancien chef des investisse­ments d’Edmond de Rothschild, qui a ensuite fondé Premyss à Genève. Ce qui fait qu’ils ont attendu maijuin pour revenir. Mais de manière générale, la fin de l’année a été bien gérée.»

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