Le Temps

L’agenda géostratég­ique de l’administra­tion Biden

- FRANÇOIS NORDMANN

La lutte contre la pandémie et la maîtrise de ses suites économique­s et sociales domineront l’agenda géostratég­ique de 2021. L’installati­on de l’administra­tion du président Joe Biden – à partir de demain 20 janvier – sera l’autre facteur essentiel de l’année qui s’ouvre. Quelle sera sa marge de manoeuvre réelle?

L’action sanitaire sera la priorité majeure du nouveau président, qui a mis en place un dispositif pour gérer les vaccinatio­ns et attribuer des fonds de l’ordre de 1900 milliards de dollars pour compenser les pertes de l’économie. Ce combat vital accaparera les forces de la Maison-Blanche, qui devra faire face à de nombreux problèmes diplomatiq­ues qu’elle ne pourra pas éluder.

A cet égard, la rivalité stratégiqu­e avec la Chine, en matière militaire, économique et technologi­que, figurera en haut de la liste. Dans ses grandes lignes, la politique appliquée par Trump recueillai­t l’assentimen­t des démocrates: il ne faut donc pas s’attendre à un «reset» complet des relations avec Pékin. Le combat pour la suprématie dans le secteur de la technologi­e de pointe va devenir plus intense. Les sanctions visant les pratiques commercial­es de la Chine ne seront pas abandonnée­s, mais elles pourraient cibler des branches de la technologi­e et de l’industrie plutôt que des entreprise­s en particulie­r. A quoi s’ajouteront les droits de l’homme: Washington ne laissera pas passer sans réagir les persécutio­ns contre les Ouïgours, la mise au pas d’Hongkong ou les manoeuvres militaires en mer de Chine du Sud. Cependant les relations avec la Chine devront aussi inclure une part de coopératio­n pour la résolution des grands problèmes mondiaux – la lutte contre les changement­s climatique­s, la maîtrise de la dette et même la refonte des institutio­ns internatio­nales. Pékin a peut-être intérêt à modérer ses positions à l’approche du centenaire du Parti communiste chinois le 21 juillet prochain et des Jeux olympiques d’hiver de 2022.

Le statu quo devrait aussi prévaloir avec la Russie: les interféren­ces russes dans le cyberdomai­ne et la campagne anti-occidental­e de la Russie, la prolongati­on du conflit avec l’Ukraine et la reprise de la politique des droits de l’homme d’Obama n’incitent guère à la relance d’un dialogue structuré avec Moscou, sauf peutêtre dans le secteur du désarmemen­t nucléaire.

Avec les Européens, Biden renouera avec la politique transatlan­tique traditionn­elle des Etats-Unis tout en assumant les divergence­s qui portent sur une politique commune envers la Chine, la taxation des compagnies américaine­s qui dominent le marché des plateforme­s électroniq­ues et la constructi­on du gazoduc North Stream II qui reliera la Russie à l’Allemagne.

Les Européens se sont réjouis de l’annonce d’une réévaluati­on du multilatér­alisme: une première étape pourrait être la réforme de l’OMS, puis de l’OMC, éventuelle­ment du Conseil des droits de l’homme. Mais il ne faut pas oublier la valeur des groupement­s régionaux sur lesquels l’Amérique devra s’appuyer et qui relèvent aussi du multilatér­alisme, particuliè­rement en Asie: l’alliance avec l’Australie, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, existant sous divers formats peut s’avérer utile face à la Chine. L’Indonésie, les Philippine­s sont des partenaire­s dont la valeur stratégiqu­e va en augmentant. Enfin, au Moyen-Orient, l’administra­tion Biden compte certains des négociateu­rs chevronnés qui ont façonné l’accord avec l’Iran qu’elle souhaite réintégrer. Il faudra sans doute attendre l’élection présidenti­elle iranienne cet été pour donner corps à ce projet et trouver dans l’intervalle les moyens d’une désescalad­e – diminution des sanctions américaine­s contre abandon progressif par Téhéran des composante­s de son programme nucléaire développée­s depuis 2017. L’équipe Biden ne soutiendra pas outre mesure le régime saoudien et ses menées dans le Golfe et s’efforcera de promouvoir de nouveaux pourparler­s israélo-palestinie­ns à la suite des élections législativ­es qui auront lieu simultaném­ent en Israël et en Palestine.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland