L’agenda géostratégique de l’administration Biden
La lutte contre la pandémie et la maîtrise de ses suites économiques et sociales domineront l’agenda géostratégique de 2021. L’installation de l’administration du président Joe Biden – à partir de demain 20 janvier – sera l’autre facteur essentiel de l’année qui s’ouvre. Quelle sera sa marge de manoeuvre réelle?
L’action sanitaire sera la priorité majeure du nouveau président, qui a mis en place un dispositif pour gérer les vaccinations et attribuer des fonds de l’ordre de 1900 milliards de dollars pour compenser les pertes de l’économie. Ce combat vital accaparera les forces de la Maison-Blanche, qui devra faire face à de nombreux problèmes diplomatiques qu’elle ne pourra pas éluder.
A cet égard, la rivalité stratégique avec la Chine, en matière militaire, économique et technologique, figurera en haut de la liste. Dans ses grandes lignes, la politique appliquée par Trump recueillait l’assentiment des démocrates: il ne faut donc pas s’attendre à un «reset» complet des relations avec Pékin. Le combat pour la suprématie dans le secteur de la technologie de pointe va devenir plus intense. Les sanctions visant les pratiques commerciales de la Chine ne seront pas abandonnées, mais elles pourraient cibler des branches de la technologie et de l’industrie plutôt que des entreprises en particulier. A quoi s’ajouteront les droits de l’homme: Washington ne laissera pas passer sans réagir les persécutions contre les Ouïgours, la mise au pas d’Hongkong ou les manoeuvres militaires en mer de Chine du Sud. Cependant les relations avec la Chine devront aussi inclure une part de coopération pour la résolution des grands problèmes mondiaux – la lutte contre les changements climatiques, la maîtrise de la dette et même la refonte des institutions internationales. Pékin a peut-être intérêt à modérer ses positions à l’approche du centenaire du Parti communiste chinois le 21 juillet prochain et des Jeux olympiques d’hiver de 2022.
Le statu quo devrait aussi prévaloir avec la Russie: les interférences russes dans le cyberdomaine et la campagne anti-occidentale de la Russie, la prolongation du conflit avec l’Ukraine et la reprise de la politique des droits de l’homme d’Obama n’incitent guère à la relance d’un dialogue structuré avec Moscou, sauf peutêtre dans le secteur du désarmement nucléaire.
Avec les Européens, Biden renouera avec la politique transatlantique traditionnelle des Etats-Unis tout en assumant les divergences qui portent sur une politique commune envers la Chine, la taxation des compagnies américaines qui dominent le marché des plateformes électroniques et la construction du gazoduc North Stream II qui reliera la Russie à l’Allemagne.
Les Européens se sont réjouis de l’annonce d’une réévaluation du multilatéralisme: une première étape pourrait être la réforme de l’OMS, puis de l’OMC, éventuellement du Conseil des droits de l’homme. Mais il ne faut pas oublier la valeur des groupements régionaux sur lesquels l’Amérique devra s’appuyer et qui relèvent aussi du multilatéralisme, particulièrement en Asie: l’alliance avec l’Australie, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, existant sous divers formats peut s’avérer utile face à la Chine. L’Indonésie, les Philippines sont des partenaires dont la valeur stratégique va en augmentant. Enfin, au Moyen-Orient, l’administration Biden compte certains des négociateurs chevronnés qui ont façonné l’accord avec l’Iran qu’elle souhaite réintégrer. Il faudra sans doute attendre l’élection présidentielle iranienne cet été pour donner corps à ce projet et trouver dans l’intervalle les moyens d’une désescalade – diminution des sanctions américaines contre abandon progressif par Téhéran des composantes de son programme nucléaire développées depuis 2017. L’équipe Biden ne soutiendra pas outre mesure le régime saoudien et ses menées dans le Golfe et s’efforcera de promouvoir de nouveaux pourparlers israélo-palestiniens à la suite des élections législatives qui auront lieu simultanément en Israël et en Palestine.