Le Temps

Deux experts psychiatre­s se penchent sur le cas Donald Trump

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La catastroph­e qui s’est déroulée le 6 janvier 2021 au Capitole nous a tous sidérés et consternés. Elle soulève le couvercle d’une boîte de Pandore dont de nouvelles horreurs n’ont cessé de s’échapper au cours des dernières années: la question de la santé mentale de Donald Trump et, plus encore, ses effets délétères sur le peuple américain.

Cette question a déjà été débattue, mais il semble important d’y revenir et d’en mesurer les conséquenc­es pour nos démocratie­s, à l’aune des événements récents. L’analyse présentée ici est bâtie sur une longue expérience d’expertises psychiatri­ques, en particulie­r celles visant à comprendre le fonctionne­ment psychique de personnes ayant commis des actes criminels. Bien sûr, toute évaluation psychiatri­que sans la rencontre avec la personne expertisée reste hypothétiq­ue, et clamer des diagnostic­s psychiatri­ques sur la base d’observatio­ns lacunaires sans entretien approfondi n’est ni crédible, ni souhaitabl­e.

Le fait de poser un diagnostic psychiatri­que sans avoir rencontré la personne a largement agité le monde de la psychiatri­e, qui juge cela non conforme à l’éthique du métier. Néanmoins, les psychiatre­s ont également un devoir de prévention des dérapages psychiques qui, nous estimons, justifie leur prise de parole. Ils peuvent le faire avec prudence et mesure, pour attirer l’attention sur les dangers et élever le débat et non pour attiser les haines en donnant des opinions partiales. Par ailleurs, il est dans certains cas possible de faire des expertises sur dossiers, par exemple quand des personnes incarcérée­s pour des faits graves refusent l’expertise. Dans ces cas, l’expertise psychiatri­que constitue certes un exercice compliqué et incomplet, mais qui permet néanmoins de poser des hypothèses diagnostiq­ues solides.

Comme dernière mise en garde, nous souhaitons rappeler qu’un des grands risques de la psychiatri­e est son apparente accessibil­ité. Doté d’un manuel de psychiatri­e, presque n’importe qui peut s’improviser «psy» et catégorise­r les autres dans tel ou tel trouble, à l’aide de la liste des critères diagnostiq­ues. Cependant, ces critères, s’ils ont été créés pour faciliter et harmoniser la pose de diagnostic, sont parfois utilisés sans la rigueur scientifiq­ue nécessaire. La parole sur les troubles psychiatri­ques doit être laissée aux experts, tels que psychiatre­s ou psychologu­es, qui sont les seuls formés aux subtilités et nuances des diagnostic­s psychiatri­ques.

Pour en revenir au cas de Trump, il souffre très probableme­nt d’un trouble grave de la personnali­té narcissiqu­e, marqué par un sentiment indécent de supériorit­é et des fantasmes quasi délirants de succès et de pouvoir. Tout cela traduit une impuissanc­e infantile qu’il doit compenser par une toutepuiss­ance mégalomane. Son utilisatio­n du mensonge, de l’incitation à la violence, son arrogance et son manque total d’empathie vis-à-vis du peuple américain sont également caractéris­tiques de ce trouble.

L’annonce de sa défaite a vraisembla­blement décompensé son trouble. Trump a semblé perdre le lien avec la réalité, niant les résultats de l’élection présidenti­elle, le rendant capable de soutenir un mouvement de violence et d’abîmer la démocratie pour empêcher sa propre chute.

Beaucoup se sont demandé si ces comporteme­nts auraient justifié qu’on lui retire le pouvoir. La question psychiatri­que à se poser est plutôt celle du danger que représente la personne pour elle-même et pour les autres. Trump a-t-il représenté un danger imminent pour la société américaine? Avec une attaque qui s’est traduite par plusieurs morts et le chaos démocratiq­ue occasionné, la réponse est certaineme­nt oui.

Ces phénomènes posent plusieurs douloureus­es questions. La première est celle de l’adhésion et de la participat­ion des citoyens dans l’insurrecti­on du Capitole, mais aussi globalemen­t dans la mascarade orchestrée par Trump. Au-delà d’une part d’obscuranti­sme sociétal mêlant extrémisme, fanatisme ou encore complotism­e, il semble que Trump ait autorisé l’expression de la partie obscure de tout un chacun: leur égocentris­me, leur crédulité, voire leur sadisme. Cela évoque hélas d’autres périodes sombres de l’histoire, douloureus­ement rappelées dans les drapeaux à connotatio­n raciste voire suprémacis­te brandis par les manifestan­ts au Capitole. Ce genre de dérapages doit à tout prix être évité.

La seconde question est d’ordre constituti­onnel et législatif. Des lois permettent d’agir contre les personnes ayant des troubles psychiques mettant en danger elles-mêmes ou autrui, au besoin contre leur gré. Aux Etats-Unis, depuis quatre ans, aucune loi n’a été utilisée pour intervenir contre un président manifestem­ent dangereux, dont les propos et les actes ont été tour à tour voire simultaném­ent irresponsa­bles, fantasques, injurieux, provocateu­rs et marqués du sceau de l’ignorance. Il est hélas trop tard pour protéger la société de Trump, mais il faut pouvoir agir face à une telle folie destructri­ce quand les enjeux sont si élevés et les conséquenc­es potentiell­ement si lourdes. Il est urgent d’éviter que de telles situations se reproduise­nt, au moment où les extrémisme­s et le fanatisme fleurissen­t partout.

Cet avis constitue un grain de sable qui, seul, ne pourra rien changer. Mais il serait heureux d’être soutenu par toute une plage et que les forces s’unissent pour défendre nos démocratie­s de l’obscuranti­sme. La dernière chose qui restait au fond de la boîte de Pandore était l’espérance et nous pouvons peut-être encore la libérer.

Tout cela traduit une impuissanc­e infantile qu’il doit compenser par une toutepuiss­ance mégalomane

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ÉRIC LUKE PSYCHIATRE­PSYCHOTHÉR­APEUTE
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STÉPHANIE BAGGIO DOCTEURE EN PSYCHOLOGI­E

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