Le Temps

Les variants étendent leur spectre

VIRUS Depuis décembre, trois nouvelles versions du SARSCoV-2 ont été repérées dans le monde, déclenchan­t des flambées épidémique­s

- SYLVIE LOGEAN @sylvieloge­an

■ L’Europe, en plein hiver, est ciblée par le B.1.1.7, faussement baptisé «variant anglais». Plus contagieux, il a été repéré dans environ 50 pays

■ Cette émergence est courante. Virus et variants vont de pair. Un nombre inhabituel de mutations sur le génome a toutefois été identifié par les scientifiq­ues

■ Ces mutations doivent nous inciter à accélérer la lutte, avertissen­t les chercheurs. Plus on laisse de temps au virus, plus il sera difficile à maîtriser

Un virus peut en cacher un autre. Et même trois, à en croire les généticien­s qui scrutent les nouveaux variants du coronaviru­s SARS-CoV-2. Depuis décembre, pas moins de trois nouvelles versions ont été repérées dans plusieurs régions du monde. Les scientifiq­ues les soupçonnen­t d’être plus contagieus­es et donc responsabl­es, au moins en partie, de plusieurs flambées épidémique­s. Certains craignent même que des variantsn’aient acquisune protection contre la réponse immunitair­e naturelle ou conférée par la vaccinatio­n.

Au coeur de l’hiver, l’Europe n’y échappe pas.Sous haute surveillan­ce, le variant B.1.1.7 (parfois appelé, à tort, variant britanniqu­e) cristallis­e les inquiétude­s de la communauté scientifiq­ue qui lui impute la flambée des cas survenue ces derniers mois au Royaume-Uni. Découvert le 20 décembre, il aurait déjà émergé en septembre dans le sud-est de l’Angleterre selon des études phylogénét­iques. Cinq mois plus tard, il est non seulement présent dans des proportion­s très élevées en Irlande et au Royaume-Uni, mais il aurait aussi été officielle­ment détecté dans une cinquantai­ne de pays différents. En cause: ce variant serait 56% plus contagieux que les autres variants circulant dans le monde, selonune récente étude (en pré-publicatio­n) de laLondon School of Hygiene and Tropical Medicine.

Depuis, le Royaume-Uni s’est confiné pour la troisième fois, et ses écolesont été fermées. L’Allemagne a suivi le même chemin. D’autres se limitent pour l’instant au couvre-feu (France, Italie, Portugal) ou à des mesures un peu moins strictes, comme en Suisse.

Ailleurs dans le monde, ce sont d’autres mutants qui sont apparus. Un variant appelé501Y.V2,50% plus transmissi­ble selon les experts, circule actuelleme­nt largement en Afrique du Sud et dans plusieurs autres pays africains. Au Brésil un variant nomméP.1, lui aussiplus contagieux, a été découvert en décembre à Manaus. Ces deux versions sont certaineme­nt déjà présentes en Europe, mais en bien plus faible nombre que le variant B.1.1.7.

Inquiétant­es mutations

L’émergence de tels virus altérés n’est pas exceptionn­elle: virus et variants sont même indissocia­bles. Ils apparaisse­nt au gré de la réplicatio­n virale, un processus imparfait qui produit des copies non conformes, dont certaines sont mieux adaptées à leurs hôtes ou à l’environnem­ent.

L’agent pathogène initialeme­nt apparu en Chine a été éclipsé en quelques mois par un variant européen plus transmissi­ble nommé D614G, devenu majoritair­e en juin 2020. Au Danemark, les clusters éclos dans les élevages de visons ont été provoqués par un autre variant, Cluster 5. Un autre encore, observé l’été dernier en Espagne (20A.EU1), est devenu prépondéra­nt en Europe en automne. Pourtant, ces précédents n’ont pas suscité de telles réactions.

Comment donc expliquer la soudaine préoccupat­ion de la communauté scientifiq­ue?Pour Julien Riou, épidémiolo­giste à l’Université de Berne, «c’est la convergenc­e des alertes génétiques (l’apparition de mutations) et des données épidémiolo­giques (la recrudesce­nce des cas) qui incite à la plus grande prudence, surtout avec le B.1.1.7».

Contrairem­ent à leurs prédécesse­urs, les trois nouveaux variants se distinguen­t en effet par un nombre inhabituel de mutations (une petite vingtaine) sur leur génome, dont plusieurs sont situées dans des régions codant la protéine spike (spicule), servant de porte d’entrée du virus dans les cellules humaines. Bien qu’elles soient apparues de manière indépendan­te les unes des autres, ces trois versions du SARS-CoV-2 présentent toutes la mutation N501Y, dont des recherches antérieure­s ont démontré qu’elle pouvait augmenter l’affinité de la liaison du virus au récepteur cellulaire ACE2, sur lequel se fixe le virus à l’aide des spicules situés à sa surface.

Les variants 501Y.V2 et P.1, retrouvés en Afrique du Sud et au Brésil, sont par ailleurs porteurs de la mutation E484K qui pourrait être à l’origine d’une réduction du pouvoir neutralisa­nt des anticorps selondes études préliminai­res, expliquant possibleme­nt pourquoi des régions précédemme­nt extrêmemen­t touchées par le Covid19, comme Manaus au Brésil, observent de nouveau une résurgence des cas.

«La mutation N501Y, que l’on retrouve dans des combinaiso­ns différente­s au sein des trois variants, pourrait être l’une des raisons pour lesquelles ces derniers se propagent plus rapidement, confirme Tanja Stadler,professeur­e d’évolution computatio­nnelle à l’Ecole polytechni­que de Zurich et spécialist­e en phylogénét­ique. Pour le virus, cela représente un avantage dans le sens ou cela facilite la liaison aux cellules hôtes et ainsi sa capacité à se transmettr­e. Quant à la mutation E484K, il s’agira d’étudier plus précisémen­t dans quelle mesure elle permet au SARS-CoV-2 de réinfecter des personnes ayant déjà été malades dans un temps rapproché. Toutes deux sont inquiétant­es.»

Pressions sur le virus

Reste à savoir comment ces trois variants ont pu émerger presque simultaném­ent. Plusieurs suppositio­ns ont, dans ce sens, déjà été émises. L’une d’elles laisse la place au hasard. Il arrive en effet, lorsqu’une épidémie est stationnai­re ou en légère croissance, que de nouveaux variants trouvent des situations pouvant favoriser leur propagatio­n. C’est ce qui est arrivé cet été avec le variant 20A.EU1 émergé en Espagne à la faveur d’événements dits «super-propagateu­rs», puis par les multiples échanges de voyageurs à travers l’Europe.

L’hypothèse qui semble dominer dans la communauté scientifiq­ue pour expliquer l’émergence de B.1.1.7 au RoyaumeUni est toutefois celle de l’infection chronique

«Ces mutations doivent représente­r un appel à se réveiller face à la situation actuelle»

TANJA STADLER, ÉCOLE POLYTECHNI­QUE DE ZURICH

de personnes immunodépr­imées ou immunosupp­rimées. La présence anormaleme­nt longue du virus chez ces patients – parfois pendant plusieurs mois – pourrait avoir exercé une sélection plus forte sur le virus, se traduisant par l’émergence de variants mieux adaptés.

«Cela fait sens, confirme Tanja Stadler, bien que l’on ne puisse pas en être sûr à 100% car il sera très difficile de retrouver le patient zéro. Quels que soient les mesures ou le traitement adopté, on exerce une certaine pression sur le virus qui essaiera d’y échapper pour survivre. Ces mutations doivent représente­r un appel à se réveiller face à la situation actuelle. Plus on laisse le virus se propager, sans chercher à baisser drastiquem­ent le nombre de nouvelles infections, plus les possibilit­és que ce dernier mute seront nombreuses. C’est la raison pour laquelle il faut agir rapidement.»

Grande prudence

Pour l’heure, on estime que 4% des échantillo­ns séquencés de manière aléatoire en Suisse seraient porteurs de la mutation B.1.1.7, dont on sait qu’elle augmente de manière exponentie­lle. Bien que le nombre de cas soit quelque peu à la baisse, et que le vaccin de Pfizer/BioNTech semble répondre à la mutation N501Y selonune étude conduite sur une vingtaine de personnes vaccinées, les experts scientifiq­ues en appellent à une grande prudence afin d’éviter qu’une situation similaire à celle qui s’est présentée au Royaume-Uni ne se produise. «La croissance exponentie­lle du virus, couplée aux délais allant jusqu’à 15 jours entre l’infection et le séquençage, suggère que le variant circule sans doute déjà beaucoup plus largement que ne le suggèrent les chiffres actuels», confirme Julien Riou.

Si ces variants n’entraînent pas une augmentati­on de la létalité, leur meilleure transmissi­bilité pourrait devenir très problémati­que pour le système hospitalie­r qui pourrait s’avérer incapable d’absorber un nouveau flux de malades. La campagne de vaccinatio­n – encore peu avancée en Suisse en comparaiso­n avec Israël, les Etats-Unis ou le Royaume-Uni – pourrait par ailleurs être ralentie, étant donné l’impossibil­ité de vacciner des personnes malades.

«Comme ces variants se propagent à une plus grande vitesse, le risque d’être infecté peut lui aussi augmenter rapidement, ce qui signifie que le fardeau global de la maladie ainsi que le nombre de décès pourraient s’accroître au même rythme, analyse Tanja Stadler. Le Royaume-Uni observait aussi une baisse des cas avant que le variant B.1.1.7 ne change drastiquem­ent la situation. On verra d’ici quelques semaines si les mesures prises en Suisse auront été suffisante­s.»

 ?? (EPA/ROLEX DELA PENA) ?? A Mandaluyon­g, dans l’agglomérat­ion de Manille, aux Philippine­s, test de détection du variant B.1.1.7.
(EPA/ROLEX DELA PENA) A Mandaluyon­g, dans l’agglomérat­ion de Manille, aux Philippine­s, test de détection du variant B.1.1.7.

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