Le Temps

L’intérioris­me

IL ÉTAIT UNE FOIS

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Un nouveau concept politique en… isme pourrait utilement suppléer à l’usure ou à l’abus de ceux qui sont en vigueur, universali­sme, internatio­nalisme, provincial­isme, protection­nisme, nationalis­me, tous entachés des salissures de l’histoire, les uns pour excès d’idéal, les autres pour manque. Ce pourrait être «l’intérioris­me». Le mot n’est pas très joli, j’en conviens. Il désigne aujourd’hui une activité profession­nelle qui consiste à aménager les espaces intérieurs des bâtiments afin de les rendre agréables et pratiques au moyen de matériaux innovants. Il m’est suggéré par la lecture d’un rapport commandité par la Carnegie Endowment sur la politique étrangère des Etats-Unis, coupable selon ses auteurs de ne pas tenir compte des intérêts économique­s et sociaux de la classe moyenne. Occupés à négocier des accords de commerce ou d’échanges avec le reste du monde, les diplomates la négligent. Elle s’en fâche.

La «middle class» est une grosse masse de gens dont le revenu moyen est de 74000 dollars par an, soit entre 48505 et 145516 dollars, avec de légères variations selon les Etats. Elle cultive un style de vie adapté à un revenu sur lequel elle fonde sa dignité. Elle a des attentes fortes quant à son développem­ent et celui de ses enfants. Ses vues sont influencée­s par ses religions, ses origines et la géographie politique des lieux où elle vit. Dans trois Etats étudiés par l’enquête, Colorado, Nebraska et Ohio, elle offre le tableau d’une déception sociale et morale amorcée depuis plusieurs décennies, d’un appauvriss­ement par rapport à son âge d’or d’après-guerre et d’une grande anxiété pour l’avenir.

Cette descriptio­n n’apporterai­t pas grand-chose qu’on ne sache déjà si elle n’était insérée dans un programme de politique étrangère et si l’un de ses auteurs, Jake Sullivan, n’était pas nommé conseiller à la sécurité nationale du président Joe Biden, c’est-à-dire capable de la porter jusqu’au Bureau ovale. Le lien est en effet exposé en détail entre la diplomatie commercial­e et militaire des trois dernières décennies et la destructio­n des capacités de la classe moyenne de vivre selon ses espoirs. En son nom, Donald Trump a tapé du poing sur la table mais il a cassé la table. Il revient à son successeur de la remettre debout. En deçà et au-delà des intérêts commerciau­x, de se soucier des effets de redistribu­tion de la diplomatie économique; de briser les silos qui divisent les responsabi­lités intérieure­s et extérieure­s du gouverneme­nt; d’en finir avec les principes périmés tels que celui de domination du monde. Aucune politique étrangère ne peut réussir, affirme le rapport, si elle n’a pas l’aval de la classe moyenne. Oui, mais comment l’avoir?

Sondages à l’appui, l’enquête assure que la classe moyenne n’est pas hostile au commerce mondial, à l’immigratio­n, à l’aide internatio­nale, à la défense des droits humains ou aux alliances, notamment avec le continent européen. Elle n’a pas le nationalis­me idéologiqu­e collé aux basques. En revanche, elle est très hostile aux conséquenc­es de stratégies diplomatiq­ues et commercial­es qu’elle voit comme la source d’inégalités insupporta­bles pour son image et dangereuse­s pour son avenir. Le rapport de la Carnegie Endowment recommande donc de reconstrui­re des ponts nécessaire­s au retour de la confiance perdue. D’écouter les bruits qui viennent de l’intérieur avant de se lancer à l’extérieur.

L’intérioris­me est ainsi promu en majesté dans la première puissance mondiale en train de réparer sa démocratie. Quatre ans de Donald Trump et encore 75 millions d’électeurs sur sa liste en novembre témoignent de l’urgence. L’aménagemen­t d’un espace intérieur confortabl­e pour la classe moyenne américaine va dominer la présidence Biden. Les matériaux innovants sont en laboratoir­e. Les délais de livraison incertains.

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JOËLLE KUNTZ

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