Le Temps

Sur les traces de l’origine de la pandémie

- MARC ALLGÖWER, STÉPHANE BUSSARD @marcallgow­er, @StephaneBu­ssard

Les experts de l’OMS enquêtent à Wuhan alors qu’un panel indépendan­t pointe du doigt les manquement­s de l’organisati­on et du gouverneme­nt chinois

Ils sont encore en quarantain­e depuis leur arrivée à Wuhan, mais ils travaillen­t déjà. L'équipe d'experts de l'Organisati­on mondiale de la santé (OMS) doit retracer l'émergence du SARS-CoV-2 avant décembre 2019: entretiens avec les premiers patients diagnostiq­ués, examen de leurs dossiers médicaux, d'échantillo­ns de sang ou encore de sérum. «La mission consistera aussi à répertorie­r les activités et les biens vendus dans les marchés, dont celui de Huanan, ainsi que leurs chaînes d'approvisio­nnement», ajoute Tarik Jasarevic, porte-parole de l'OMS.

Les spécialist­es seront-ils libres d'enquêter à leur guise? Ou devront-ils se baser uniquement sur des informatio­ns et des interlocut­eurs présélecti­onnés par les autorités chinoises? La réponse de l'OMS reste vague. L'organisati­on souligne que ses émissaires s'étaient rendus l'été dernier en Chine afin de définir les «termes de référence» de futures investigat­ions et que plusieurs rencontres en amont ont permis aux experts internatio­naux «d'être informés des résultats d'études menées par des chercheurs chinois».

Visas délivrés à la dernière minute

Les difficulté­s rencontrée­s par une partie de l'équipe pour arriver jusqu'à Wuhan – notamment les visas de deux de ses membres délivrés à la dernière minute par les autorités – interpelle­nt néanmoins. Interrogé par Der Spiegel, le chef de mission Peter Ben Embarek indique «ne pas avoir connaissan­ce» de restrictio­ns qui pourraient lui être imposées.

Il affirme aussi être en contact régulier avec Shi Zhengli, directrice du Centre des maladies infectieus­es émergentes à l'Institut de virologie de Wuhan, un laboratoir­e ayant fait l'objet de nombreuses rumeurs quant à sa responsabi­lité dans l'émergence de la maladie. Si le docteur Embarek se dit «certain d'avoir de bonnes discussion­s avec elle», le service de presse de l'OMS n'a pas confirmé au Temps qu'elle ferait partie de ses interlocut­eurs.

C'est dans ce contexte que le Groupe indépendan­t sur la préparatio­n et la riposte à la pandémie mandaté pour évaluer l'action de l'OMS et de ses Etats membres a remis mardi au Conseil exécutif de l'organisati­on un rapport intermédia­ire dans lequel il établit des lacunes institutio­nnelles et systémique­s.

Coprésiden­te du groupe avec l'ex-présidente du Liberia Ellen Johnson Sirleaf, l'ex-première ministre néo-zélandaise Helen Clark l'a souligné: «La réponse à l'urgence n'a pas été suffisante.» Pour cette dernière, même s'il n'a pas de valeur légale dans le Règlement sanitaire internatio­nal, le terme pandémie aurait dû être utilisé bien plus tôt. «Le langage a son importance. Nous devrions voir s'il faut lui donner une valeur légale», s'interroge-t-elle.

Principe de précaution appliqué trop tard

Le rapport est catégoriqu­e: «Le monde n'était pas préparé» à la pandémie. Le système d'alerte fonctionne mal. Bien que le document n'ait pas vocation à incriminer des pays, il s'avance quand même: «Les mesures de santé publique auraient dû être appliquées plus énergiquem­ent par les autorités chinoises locales et nationales en janvier.» Le Comité d'urgence composé d'experts internatio­naux, réuni le 22 janvier 2020, aurait dû déclarer avant le 30 janvier une situation d'urgence de portée internatio­nale. L'OMS elle-même aurait dû appliquer le principe de précaution une fois établie la possibilit­é d'une transmissi­on interhumai­ne.

Ellen Johnson Sirleaf ajoute: «Le monde a laissé l'OMS sans suffisamme­nt de ressources et de leadership pour faire le travail qu'on attend d'elle. Or ce même monde dépend encore plus qu'avant d'une OMS efficace.» En ce sens, elle estime que les contributi­ons obligatoir­es des Etats doivent être considérab­lement augmentées. Mais l'effort doit aller plus loin. Il s'agit aussi de donner aux bureaux régionaux de l'OMS les ressources nécessaire­s et l'autorité pour agir. A l'ère numérique, il n'est plus acceptable que le système de communicat­ion dans le cadre d'une pandémie repose encore sur une approche analogique. Le virus circule très vite, l'OMS et les Etats membres doivent développer le plein potentiel du numérique. Le rapport final du groupe sera présenté à l'Assemblée mondiale de la santé en mai.

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