Comment Pékin a renoué avec la croissance
PANDÉMIE Malgré un premier trimestre confiné, le produit intérieur brut chinois a fini l’année 2020 en progression de 2,3% grâce à des mesures fortes contre le Covid-19
Il y a un an, la Chine s’apprêtait à mettre en quarantaine la métropole de Wuhan et le Hubei, une province de 58 millions d’habitants au centre du pays. Un an après, et malgré un premier trimestre marqué par une chute de la production de 6,8%, la Chine a terminé 2020 avec un produit intérieur brut (PIB) en hausse de 2,3%, selon les chiffres publiés lundi par le Bureau chinois des statistiques.
D’après l’OCDE, la Chine est même le seul pays du G20 à voir son PIB progresser cette année. Un succès impressionnant qui montre que les mesures les plus strictes pour contrôler l’épidémie sont aussi celles qui permettent à l’économie de se relever le plus rapidement. Grâce à des mesures drastiques pour endiguer la circulation du coronavirus, la Chine est en effet parvenue à retrouver une vie quasi normale à partir de l’été 2020. Si le pays fait aujourd’hui encore face à quelques foyers, notamment dans le nord du pays, les cas se comptent en centaines par jour tout au plus.
Une reprise inégale
Les détails révèlent toutefois une reprise déséquilibrée. L’essentiel de la croissance provient en effet de l’industrie, dont l’activité progresse de 2,8% en 2020. Dans le même temps, les ventes au détail, indicateur de la consommation, ont baissé de 3,9%. Des chiffres qui reflètent l’impact plus ou moins important des mesures de restrictions en fonction des secteurs.
Dès février, alors que la plupart des restaurants et lieux de loisirs étaient encore fermés, les autorités locales s’organisaient pour permettre aux usines de reprendre la production, poussées par la crainte pour la Chine de perdre sa place centrale dans la chaîne de production mondiale. Les usines sont aussi des espaces semi-clos où des mesures d’hygiène strictes sont plus faciles à appliquer que dans des lieux publics. La restauration a particulièrement souffert, avec un chiffre d’affaires en baisse de 16,6% sur l’année.
Le succès des masques chinois
La flexibilité du tissu industriel chinois a aussi joué. Alors que les exportations chinoises avaient chuté de 20,7% en février, elles ont fini l’année en hausse de 18,1% en décembre. Entre-temps, des pays émergents, importants dans les chaînes d’approvisionnement, à l’instar de l’Inde, ont vu leur industrie mise à l’arrêt par la pandémie. Alors que la demande des pays occidentaux pour des équipements médicaux, l’électroménager, le matériel informatique s’est envolée, les exportateurs chinois ont su s’adapter. Le pays a exporté 224 milliards de masques entre mars et décembre. «C’est l’équivalent de 40 masques par personne hors de Chine», s’est félicité le porte-parole des douanes, Li Kuiwen.
A Yiwu, dans le Zhejiang, à 300 kilomètres au sud de Shanghai, un gigantesque marché aux exportations regroupe des milliers de vendeurs représentant des usines chinoises. Ye Jinju, une productrice de vis, raconte que quand ses contacts en Europe et aux EtatsUnis lui ont demandé de l’aide pour s’approvisionner en masques, en février, elle a décidé de les fabriquer elle-même. «J’ai une formation médicale, cela m’a permis d’avoir une licence rapidement.» Son père, agent immobilier pour l’industrie, avait des locaux disponibles. Elle achète des machines, transfère quelques dizaines d’employés de son usine de vis, et la production peut commencer. «En tout, cela nous a pris trois semaines à peu près», précise-t-elle fièrement.
Une consommation portée par le luxe
La consommation, en revanche, a peiné à repartir. Elle finit l’année en hausse de 4,6% en décembre comparé à la fin de 2019. Un chiffre encourageant, mais encore loin d’un retour à la normale puisque les ventes au détail avaient progressé de 8% en 2019. Une situation qui reflète les priorités de Pékin: l’essentiel des mesures de stimulus (investissements publics dans les infrastructures et taux d’intérêt bas) ont été en faveur des entreprises, et pas des ménages.
Là encore, il s’agit d’une reprise à deux vitesses. Les ventes de produits de luxe se sont envolées cette année avec une hausse de 48% des ventes en 2020, à 346 milliards de yuans (47 milliards de francs), estime un rapport du cabinet de conseil Bain & Company, publié le 16 décembre 2020. Dans ce contexte, la Chine est devenue le premier marché du monde pour les montres suisses, devant les EtatsUnis et Hongkong. Une explosion des ventes à relativiser, puisque beaucoup de clients fortunés achètent désormais leurs montres en Chine, faute de pouvoir voyager à Genève, Paris, ou New York pour faire leurs emplettes.
Endettement en progression
Si les riches ne se sont pas privés de consommer, grâce à la progression des prix de l’immobilier et des actifs, notamment boursiers (l’indice CSI 300 des principaux titres chinois a gagné 30% sur l’année), le reste de la population n’a vu ses revenus augmenter que de 1,2%, soit moitié moins que la croissance. Par ailleurs, la reprise, tirée par l’investissement en infrastructures, s’est ressentie sur l’endettement, qui progresse de 25% en 2020 pour atteindre 290% du PIB.
Une tendance à rebours des efforts des autorités pour limiter l’endettement et lutter contre les risques financiers ces dernières années. «On verra sans doute une inversion cette année, la consommation et les investissements privés devraient représenter l’essentiel de la croissance, a estimé sur Twitter Michael Pettis, professeur de finance à l’Université de Pékin. Cela dépendra si Pékin se satisfait de 6-7% de croissance du PIB ou si les autorités demandent plus.» Le FMI et la Banque mondiale prédisent à la Chine une croissance de 7,9% en 2021.
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