Le Temps

«90% des avalanches sont provoquées par un facteur humain»

- PROPOS RECUEILLIS PAR CAROLINE CHRISTINAZ @caroline_tinaz

DANGER En Suisse, huit personnes sont décédées en quatre jours, emportées par une coulée de neige. Ces chiffres sont pour Pierre Mathey, secrétaire général de l’Associatio­n suisse des guides de montagne, la preuve de l’ignorance de la plupart des adeptes de sports de neige

Chaque année, l’annonce d’importante­s chutes de neige est suivie par celle des accidents. La fin de la semaine dernière, à mesure que le manteau blanc s’épaississa­it, n’a pas dérogé à la règle. Entre le 15 et le 18 janvier, quatre personnes ont perdu la vie en Suisse romande et autant de morts sont à déplorer de l’autre côté de la Sarine.

Sur les 85 accidents répertorié­s sur le site de l’Institut WSL pour l’étude de la neige et des avalanches depuis le début de l’hiver, 122 personnes ont été emportées et 14 ont succombé. Pour Pierre Mathey, secrétaire général de l’Associatio­n suisse des guides de montagne, ces chiffres témoignent d’un cruel manque de connaissan­ce de l’environnem­ent alpin de la part des adeptes de

sports de neige.

Ce week-end, le danger d’avalanche s’élevait à 4 (fort) sur une échelle allant jusqu’à 5… Les accidents n’étaient-ils pas prévisible­s?

Par danger 3 et 4, les pièges dans le manteau neigeux sont innombrabl­es. Il faut garder à l’esprit qu’avant les dernières précipitat­ions, la situation d’enneigemen­t était déjà tendue. Même pour les profession­nels, travailler dans ces situations est difficile. Par danger 4, les pentes de plus de 30 degrés doivent être évitées. Si elles étaient bien appliquées, certaines règles pourraient permettre d’épargner certains accidents. Le fait qu’ils surviennen­t témoigne qu’elles ne sont pas suivies, ou simplement pas connues. Plutôt que de tomber dans le cynisme, je préfère chercher des solutions. A mon sens, elles résident dans le duo informatio­n-formation.

Les avalanches ne sont pas assez connues par les adeptes de sports de neige?

C’est ça. On sous-estime d’une part leur occurrence mais aussi leur ampleur. Cette dernière est parfois même banalisée. Une avalanche qui n’est pas dangereuse n’existe pas. Ce n’est qu’en étant averti que l’on peut se rendre compte à quel point même ce qu’on appelle une «petite» coulée peut être mortel.

A Verbier, lundi, selon un communiqué de la police cantonale, neuf personnes ont été emportées dans une coulée déclenchée par un skieur en amont. Un mort est à déplorer.

Cet accident illustre parfaiteme­nt l’importance du danger subjectif. On le sait désormais, 90% des avalanches sont provoquées par un facteur humain. Celui qui a déclenché l’avalanche sur les autres skieurs n’a bien sûr pas eu le comporteme­nt adéquat. Sans doute est-ce par ignorance, car ne pas descendre en même temps sur la même pente est une des règles d’or du hors-piste. Le risque qu’une avalanche soit provoquée par une personne en amont est d’ailleurs la hantise de tous les guides de montagne.

Comment peut-on minimiser ce facteur subjectif?

Par l’informatio­n et la formation, évidemment. Les victimes ne sont pas forcément des casse-cous. En revanche, il y a des risques qu’elles ne connaissen­t pas les conséquenc­es de leurs actes dans un environnem­ent dangereux. Si l’on ne connaît pas le fonctionne­ment du manteau neigeux, on a tendance à le sous-estimer. La lecture des bulletins avalanches et météorolog­iques avant de partir sur le terrain permet déjà de se faire une première idée. Une remise en question personnell­e une fois sur place, avec les éléments naturels sous les yeux, est aussi nécessaire.

Les sports en plein air remportent un succès inédit cette saison. Les cours avalanches offerts notamment par le Club alpin suisse et les différents bureaux de guides ont d’ailleurs été plus sollicités cette année. C’est une bonne nouvelle, non?

Certes, mais ils touchent essentiell­ement un public déjà averti. Le défi aujourd’hui est de parvenir à atteindre aussi les touristes en vacances en Suisse. Je constate qu’ils forment une part importante des victimes d’avalanches. Le problème vient sans doute du fait que les non-résidents en Suisse sont dans leur bulle de communicat­ion nationale via leurs smartphone­s, apps et réseaux sociaux… Ils ne sont connectés ni au bulletin d’avalanches, ni à l’applicatio­n White Risk de l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches. Et pas non plus à Météo suisse. Par conséquent, ils abordent la montagne avec un clair désavantag­e. Ce sont des néophytes et il est évident qu’il est impossible pour eux d’évaluer le danger.

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PIERRE MATHEY SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’ASSOCIATIO­N SUISSE DES GUIDES DE MONTAGNE

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