Le Temps

La crise accentue les inégalités en Suisse

Si toutes les couches de la population suisse ont été affectées par la pandémie, ce sont les personnes à faible revenu qui ont été les plus touchées, montre une étude du KOF. Le chômage partiel a joué un rôle «énorme» pour limiter cet effet

- MATHILDE FARINE, ZURICH t @MathildeFa­rine

C’est une tendance qui se reflète partout dans le monde, et la Suisse n’y échappe pas. Une étude du KOF montre que si l’impact économique de la pandémie affecte toutes les couches de la société, ce sont surtout les personnes à faibles revenus qui sont les plus touchées par la crise. Les ménages qui vivent avec moins de 4000 francs ont perdu en moyenne 20% de leur revenu mensuel depuis le début de la pandémie. Le recul n’est en revanche que de 8% pour les personnes vivant dans un ménage disposant d’un budget de plus de 16000 francs. Le mal-être des personnes à faibles revenus se répercute également sur d’autres domaines, comme l’épargne, la santé ou le moral.

Ce qui est vrai pour le monde l’est aussi pour la Suisse: les plus pauvres ont été les plus affectés par la crise du covid. Les inégalités se sont ainsi creusées avec la pandémie, montre une étude publiée mardi par l’institut de recherches conjonctur­elles de l’EPFZ (KOF), cofinancée par The Enterprise for Society Center (E4S, initiative commune de l’EPFL, de l’IMD et de l’Université de Lausanne) et l’Office fédéral de la santé publique.

Selon le rapport, les ménages dont le revenu net est considéré comme très faible – moins de 4000 francs selon la définition des chercheurs – ont subi une baisse de revenus de 20% en moyenne depuis le début de la pandémie. A l’inverse, les ménages dont le revenu mensuel est parmi les plus élevés – supérieur à 16000 francs – ont vu leurs revenus diminuer de 8%.

Plus de dettes

L’effet est exacerbé par l’effet porte-monnaie. Plus les ménages disposaien­t de revenus élevés, plus ils ont réduit leurs dépenses. «Les ménages les plus aisés les ont diminuées principale­ment à cause de besoins moindres et d’occasions plus rares pour effectuer des dépenses», souligne le rapport. Or, si ces raisons existent aussi parmi les ménages à faibles revenus, elles ne sont pas les seules: 11% d’entre eux disent aussi avoir réduit leurs dépenses parce qu’ils avaient moins d’argent disponible.

Des résultats en partie attendus par les chercheurs. Mais Isabel Martinez, l’une des auteurs, chercheuse au KOF et spécialist­e des inégalités, souligne un domaine où ils se sont révélés pires que prévu: l’utilisatio­n des économies et l’endettemen­t. «Parmi les ménages les plus pauvres, une personne sur neuf s’est endettée pour faire face», souligne-t-elle, ce qui «aura des conséquenc­es à long terme. Lors de la prochaine crise – puisque ce n’est pas la dernière que nous allons vivre –, ces ménages seront dans une position encore plus délicate.» Dans ce domaine, les inégalités perdureron­t plus longtemps que celles des revenus, qui devraient plus rapidement revenir à la normale, ajoute Isabel Martinez.

Ce qui a une conséquenc­e sur l’épargne, qui «a considérab­lement diminué chez les ménages à faibles revenus», tandis qu’elle «a augmenté chez la moitié des ménages aux revenus les plus élevés», révèlent les experts. Près de 40% des personnes ayant des revenus inférieurs à 4000 francs disent «avoir puisé dans leurs économies afin de couvrir leurs dépenses courantes». A noter que c’est aussi dans cette catégorie que se trouvent le plus de réfractair­es aux vaccins. Seuls 36% d’entre eux se disent prêts à être vaccinés, contre 59% dans la catégorie de revenus les plus élevés.

Pour éviter le pire, le chômage partiel a joué un rôle «énorme», estime Isabel Martinez. «On le voit à la différence de situation, à la fois financière et psychologi­que, entre ceux qui l’ont obtenu et ceux qui se sont retrouvés au chômage.» Etait-ce assez?

La Confédérat­ion ne payant que 80% des salaires et l’employeur ne compensant pas forcément les 20% restants, cela a pu rendre la situation plus difficile pour les salaires les plus faibles. «Dans certains cas, le filet minimum n’était plus suffisant», pointe la chercheuse. Début janvier, la Conférence suisse des institutio­ns d’action sociale (CSIAS) a d’ailleurs estimé que «le nombre de personnes tributaire­s de l’aide sociale augmentera de 21%» au cours des deux prochaines années en raison de la crise du covid. Selon l’OFS, 271 400 personnes étaient à l’aide sociale en 2019.

Les chercheurs n’ont pas de données précises pour comparer la situation avec d’autres pays. Mais il est clair que «la tendance est la même partout». A une exception: en Suisse, les revenus les plus faibles n’ont pas été nécessaire­ment plus exposés à la maladie qu’aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou dans les pays émergents, par exemple, ajoute l’experte. Difficile en revanche d’analyser l’impact des mesures sanitaires, plus ou moins fortes selon les pays, car d’autres facteurs entrent en ligne de compte, notamment le recours au chômage partiel.

L’exacerbati­on des inégalités, c’est également ce qu’a constaté Oxfam dans son rapport annuel publié fin janvier. Les inégalités se sont creusées dans tous les pays du monde. «Les 1000 personnes les plus riches du monde ont retrouvé leur niveau de richesse d’avant la pandémie en seulement neuf mois alors qu’il pourrait falloir plus de dix ans aux personnes les plus pauvres pour se relever des impacts économique­s», pointait l’ONG. La fortune des milliardai­res a d’ailleurs atteint un record en 2020, selon un rapport d’UBS et de PwC. ■

«Dans certains cas, le filet minimum n’était plus suffisant»

ISABEL MARTINEZ, CHERCHEUSE AU KOF

 ?? (FABRICE COFFRINI/AFP) ?? L’an dernier, des distributi­ons de colis alimentair­es ont été régulièrem­ent organisées à Genève – ici le 6 juin – pour aider les Genevois les plus touchés financière­ment par la crise du Covid-19.
(FABRICE COFFRINI/AFP) L’an dernier, des distributi­ons de colis alimentair­es ont été régulièrem­ent organisées à Genève – ici le 6 juin – pour aider les Genevois les plus touchés financière­ment par la crise du Covid-19.
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