La fuite en avant de Pierre Maudet
Le conseiller d’Etat veut faire croire qu’il a obtenu deux acquittements, alors qu’il n’y en a eu qu’un seul. Il suggère aussi que ses collègues du gouvernement se prêtent à une manoeuvre dilatoire en retenant le rapport d’expert sur la conduite de son département
On peut reconnaître à Pierre Maudet une certaine persistance dans «la vérité relative», notion chère à Me Yaël Hayat, ainsi qu’une propension intacte à vouloir transformer toute défaite en victoire. En sortant du Palais de justice, lundi soir, sa défense annonçait ainsi deux acquittements, alors que le verdict n’en contient qu’un seul relatif au financement du sondage. Sur son site internet, le magistrat accuse aussi ses collègues du gouvernement de retenir le rapport d’expertise concernant la conduite de son département et de procéder ainsi à une «manoeuvre dilatoire» en vue des élections. Vérification faite auprès de la Chancellerie, «aucun rapport n’a été remis à ce jour au Conseil d’Etat. L’expertise est encore en cours et requiert un travail conséquent. La remise du rapport final devrait intervenir courant mars.»
La guerre de la communication continue du côté du ministre en difficulté. Reconnu coupable d’acceptation d’un avantage pour le voyage d’Abu Dhabi et condamné à 300 jours-amendes avec sursis, Pierre Maudet soutient, via le propos de son avocat, Me Grégoire Mangeat, «avoir récolté deux acquittements», dont un en lien avec l’invitation officielle de la couronne, et avoir été condamné pour une sorte de «reliquat» sans importance. C’est une lecture assez personnelle du verdict.
Une infraction entremêlée
Tout d’abord, l’acte d’accusation ne visait qu’une seule infraction pour le séjour au Grand Prix. Certes, celle-ci comprenait deux aspects entremêlés: l’invitation de la famille régnante et ses rapports avec le canton ainsi que le rôle joué par Magid Khoury (sans qui le voyage n’aurait pas eu lieu) et Antoine Daher. Dans sa motivation, le tribunal a souligné que le cadeau royal constituait bien un avantage indu en raison de son montant et de son but (essentiellement prendre du bon temps en famille), mais que la couronne et Pierre Maudet n’attendaient pas grandchose l’un de l’autre. Si Pierre Maudet n’a pas accepté le risque d’être influencé par les autorités émiraties, il est tout de même reconnu coupable pour avoir cédé aux manoeuvres de réseautage des deux hommes d’affaires qui ont organisé le périple, qui ont également été condamnés et qui feront aussi appel.
Techniquement, il n’y a donc aucun acquittement sur ce voyage. Et le reliquat n’en est pas un puisque le verdict retient le climat de «copinage», propre à cette sorte de bande locale, qui constitue depuis toujours le coeur de cette affaire. Au chapitre de la sanction, Pierre Maudet peut se montrer satisfait d’être passé d’une peine privative de liberté (14 mois avec sursis requis par le parquet) à une peine pécuniaire symboliquement moins dévastatrice.
L’acquittement sur le sondage, qui n’a pas été perçu comme la suite nébuleuse du voyage mais comme un soutien politique, explique en partie cette réduction. Le ministre peut aussi remercier l’ancien droit car si les faits étaient postérieurs au 1er janvier 2018, il aurait écopé de 10 mois de prison avec sursis (l’équivalent des 300 jours-amendes), le maximum de la peine pécuniaire étant depuis lors limité à 180 jours.
L’autre sujet sensible sur lequel Pierre Maudet s’attarde dans sa dernière Newsletter est le rapport d’expertise confié à l’ancien juge Jean Fonjallaz, chargé de déterminer si le magistrat a bien tyrannisé ses collaborateurs au point de devoir être privé de son département pour les protéger. «La population attend sans doute avec intérêt la communication du Conseil d’Etat à ce sujet. L’expert ayant terminé son travail, un report de la communication ne pourrait être perçu que comme une manoeuvre dilatoire directement liée aux élections, ce que je ne souhaite pas. Car sur ce point aussi, le peuple doit pouvoir trancher en connaissance de cause», écrit le magistrat.
Du côté de l’Etat, la Chancellerie confirme qu’il n’y a pas encore trace du rapport prévu à l’origine pour la mi-février. Cette précision ne rassure pourtant pas Me Hayat: «Ce retard est très mystérieux. Je veux comprendre ce qui s’est passé car l’expert nous avait garanti que le rapport serait rendu à temps et je vois mal un ancien juge fédéral ne pas respecter les délais.»
Recours irrecevable
Sur ce volet départemental, une première mauvaise nouvelle, révélée ce mardi sur notre site internet, est venue de la Chambre administrative. La décision juge irrecevable le recours de Pierre Maudet contre l’arrêté initial du Conseil d’Etat qui prononçait, le 28 octobre dernier, son éloignement forcé en raison d’un diagnostic RH alarmant, mais provisoire.
La juge n’entre pas en matière, considérant que Pierre Maudet ne subit pas de dommage irréparable en lien avec cette mesure et précise: «A cet égard, il a notamment conservé son droit au traitement et sa place au sein du collège en tant qu’instance politique et décisionnelle, et l’on doit relever qu’il avait déjà perdu l’essentiel de ses prérogatives de direction départementale par arrêté du 31 janvier 2019 [la perte de la Sécurité, ndlr], lequel n’a pas été contesté.» Et d’ajouter: «De plus, une éventuelle atteinte à la réputation ne constitue pas un dommage irréparable au sens de la jurisprudence.» Les autres griefs de fond, telle l’illicéité de la mesure, ne sont dès lors pas examinés.
Un autre recours est encore pendant sur l’arrêté gouvernemental qui a suivi au mois de décembre avec, à la clé, le mandat d’approfondissement confié à l’ancien juge fédéral. Pour Me Hayat, «cette décision de la Chambre administrative n’a rien de surprenant dans la mesure où le premier arrêté est caduc». Ce qui compte désormais, ajoute l’avocate, «c’est la décision qui sera prise dans le prolongement du deuxième arrêté et de l’expertise». En d’autres termes, la République n’en a pas fini avec les affaires Maudet.
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Le ministre peut remercier l’ancien droit car si les faits étaient postérieurs au 1er janvier 2018, il aurait écopé de 10 mois de prison avec sursis