Le Temps

Réveillée en pleine nuit en suffoquant, avec «l’impression de mourir»

- CÉLINE ZÜND @celinezund

De plus en plus nombreuses à être confrontée­s aux séquelles durables du virus, les personnes atteintes de cette maladie fantôme font entendre leurs voix. Le sujet sera discuté au parlement

Lorsque Ramon, 20 ans, se fait tester positif au virus, il n’a d’abord qu’une légère toux, un peu de fièvre et mal à la tête. Le jeune homme, sportif et en bonne santé, se soucie avant tout de protéger son père qui appartient au groupe à risque. Mais, douze jours plus tard, il est pris d’une fatigue foudroyant­e. «Je devais résister de toutes mes forces pour tenir debout jusqu’à midi.»

Aujourd’hui, ce mécanicien est en arrêt de travail complet et ne compte plus les symptômes qui l’invalident au quotidien. Pourtant les analyses médicales ne révèlent rien. «Coeur, poumons, cerveau: sur le papier, tous mes organes sont sains.» Et pourtant les atteintes sont bien réelles. Détresse respiratoi­re, troubles de la mémoire et de la concentrat­ion ou encore douleurs musculaire­s intenses: «Elles fluctuent sans arrêt.»

C’est une bombe à retardemen­t. Parmi les 1000 individus qui attrapent le coronaviru­s chaque jour, certains en garderont des séquelles à long terme. Si, comme le veulent des estimation­s encore approximat­ives, 10 à 25% de personnes contaminée­s développen­t une forme de covid long, cela concernera­it actuelleme­nt entre 50000 et plus de 135000 personnes en Suisse sur un total de plus de 540000 contaminat­ions confirmées.

Un phénomène en augmentati­on

«C’est un problème de santé public majeur. Mais les autorités ne le prennent pas assez au sérieux», dit Che Wagner au téléphone. Spécialist­e en campagnes politiques, le jeune homme de 32 ans a mis son savoir et son réseau de militants au service des malades du covid long. Depuis plusieurs semaines, il plaide en Suisse alémanique pour une meilleure prise en charge des patients concernés. C’est aussi une affaire personnell­e: sa femme est tombée malade en octobre dernier au point de ne plus pouvoir se déplacer autrement qu’en chaise roulante. Depuis, elle n’a jamais vraiment récupéré et ne peut toujours pas s’occuper seule de leurs deux enfants. A 26 ans, elle ne souffrait pourtant d’aucune maladie.

Trop souvent, les personnes concernées se trouvent seules face à leurs symptômes, déplore Che Wagner: «Il faudrait commencer par améliorer l’informatio­n. Mais aussi donner des lignes directrice­s aux médecins généralist­es, en première ligne dans la détection des malades.» Le Bâlois soulève un autre problème à long terme: la prise en charge des thérapies par les assurances. «Certaines caisses rechignent à rembourser les soins.»

Dans une lettre ouverte au Conseil fédéral, les malades réclament une «stratégie long covid» impliquant davantage de ressources pour la recherche, mais aussi pour le traitement des patients. Ils ont obtenu un premier succès fin janvier, avec le dépôt d’un postulat au sein de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des Etats.

Ce texte réclame au Conseil fédéral de présenter un rapport sur la situation et la prise en charge des personnes touchées par des séquelles à long terme. Les autorités sont aussi appelées à indiquer les mesures à prendre pour assurer le traitement et la thérapie des personnes atteintes et leur financemen­t. Ce n’est qu’un début, espère Marina Carobbio, médecin et conseillèr­e aux Etats tessinoise à l’origine de ce postulat: «La politique doit se préparer car ce phénomène est amené à durer et touche de plus en plus de personnes.»

«Le covid long peut affecter n’importe quelle partie du corps, des cheveux jusqu’aux orteils. Mais le plus commun, c’est d’être crevé au point de ne plus pouvoir se lever de son lit», souligne Chantal Britt, qui souffre de toutes sortes de troubles depuis près d’un an. Contaminée lors de la première vague, cette grande sportive de 52 ans à l’allure athlétique courait des marathons. Aujourd’hui, son corps supporte mal de dépasser 120 battements par minute. «Si j’en fais trop un jour, il me faut parfois trois semaines pour m’en remettre.»

Chantal Britt s’est parfois éveillée en pleine nuit en suffoquant, avec «l’impression de mourir». Mais l’incertitud­e est sans doute le plus difficile à vivre pour cette mère de trois enfants, qui a l’impression de se battre contre un fantôme. «Cette maladie n’a pas de nom ni d’existence officielle et pourtant elle touche des milliers de personnes, même des adolescent­s et des enfants.»

Elle a créé en septembre dernier le groupe Facebook Long Covid Schweiz, qui compte désormais 972 membres. «Nous échangeons nos expérience­s, mais aussi des informatio­ns scientifiq­ues et des conseils thérapeuti­ques, car trop souvent nous avons l’impression que les médecins ne sont pas en mesure de nous orienter correcteme­nt.»

Les malades citent la Grande-Bretagne comme référence. «Dans ce pays, qui a été plus durement touché par la pandémie que la Suisse, de nombreux scientifiq­ues et médecins ont été exposés. Leurs expérience­s ont contribué à faire bouger la recherche et à mettre en place des traitement­s spécialisé­s. Paradoxale­ment, le fait que la Suisse ait été relativeme­nt épargnée ne l’aide pas à prendre conscience du problème», pense Chantal Britt. ■

«On se sent crevé au point de ne plus pouvoir se lever de son lit»

CHANTAL BRITT, AFFECTÉE PAR LE COVID LONG

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