Le Temps

Pression croissante sur le vaccin en Israël

Le gouverneme­nt joue à la fois sur les menaces et les incitation­s pour convaincre les Israéliens encore hésitants de se faire vacciner contre le coronaviru­s. Dans certaines entreprise­s, le traitement est plus rude: c’est la piqûre ou la porte

- ALINE JACCOTTET, TEL-AVIV @AlineJacco­ttet

Les Israéliens qui refusent d’être vaccinés pourraient bientôt voir leurs noms livrés par le Ministère de la santé à leur municipali­té ou à d’autres entités gouverneme­ntales. C’est le but du projet de loi accepté mardi en première lecture par le parlement. Temporaire, la législatio­n a officielle­ment pour but de localiser plus facilement les personnes éligibles à la piqûre anti-coronaviru­s mais les craintes sont vives quant aux

«Lorsque quelqu’un refuse de se faire vacciner, il met aussi les autres en danger» DAVID ENOCH, PROFESSEUR DE PHILOSOPHI­E DU DROIT À L’UNIVERSITÉ HÉBRAÏQUE DE JÉRUSALEM

dérives. «Ce texte porte atteinte à la sphère privée. Je doute qu’il se transforme en loi tant il suscite d’opposition. Et puis je ne vois pas en quoi il pourrait convaincre de se faire vacciner», réagit Amir Fuchs, analyste à l’Institut d’Israël pour la démocratie.

Le Ministère de la santé table sur un autre projet qui fait frémir beaucoup de travailleu­rs. Il s’agit d’interdire aux employés, notamment de la santé, de l’éducation, des transports publics ou de la sécurité, l’accès à leur lieu de travail s’ils ne sont pas immunisés, guéris, ou s’ils ne se font pas tester tous les deux jours. De quoi aller dans le sens des patrons israéliens. Une enquête menée récemment a révélé que beaucoup d’entreprise­s ayant des contacts avec le public ne laissent pas le choix à leurs employés: c’est la vaccinatio­n ou la porte. L’associatio­n des fabricants, qui représente parmi les plus grandes entreprise­s du pays, défend d’ailleurs le droit de poser la question. De quoi tester les limites de la loi israélienn­e en temps de pandémie. «Notre droit stipule clairement qu’un employeur ne peut exiger que son employé soit vacciné. La loi fondamenta­le israélienn­e et la loi sur les droits des patients excluent de forcer quiconque à un tel acte», affirme Amir Fuchs.

Etre vacciné ou ne pas l’être, la ligne de fracture qui semble se dessiner entre les deux en Israël, et certaineme­nt bientôt ailleurs, n’inquiète pas outre mesure David Enoch, professeur de philosophi­e du droit à l’Université hébraïque de Jérusalem. «Chacun a la liberté de choisir, et cette liberté n’a jamais été remise en question. Il s’agit plutôt de responsabi­lité collective face à une menace. Je suis inquiet des violations de la sphère privée qui semblent s’annoncer mais la distinctio­n entre personnes vaccinées ou pas ne me choque pas. Personne n’est privé de services essentiels tels que l’accès à un médecin ou à un supermarch­é. Il est en revanche légitime d’alléger les restrictio­ns pour les gens immunisés», affirme-t-il.

Un assoupliss­ement qui est devenu très concret dimanche lorsque Israël est entré dans la deuxième phase de son déconfinem­ent – la troisième étape surviendra le 7 mars. Aujourd’hui, les Israéliens connaissen­t deux types de lieux. Il y a ceux qui sont ouverts à tous tels que les magasins, les musées et les bibliothèq­ues. Et ceux qui opèrent selon les règles du passeport vert, réservés aux personnes entièremen­t vaccinées, ou guéries du coronaviru­s. Lieux de prière, événements culturels, fitness, hôtels et piscines ne sont ainsi accessible­s que sur présentati­on d’un document officiel. Et des amendes de 1000 shekels (environ 300 francs suisses) sont infligées aux contrevena­nts.

Assumer les conséquenc­es

Des limitation­s comme celles-ci surviennen­t «à chaque fois qu’un danger pèse sur une démocratie», relève David Enoch. Face à ces défis, il invite à une appréciati­on mesurée. «La grande question, c’est celle de l’équilibre entre prévention du danger et préservati­on des droits. Lorsque quelqu’un refuse de se faire vacciner, il met aussi les autres en danger. En freinant le retour à la normalité, il contribue à l’imposition de confinemen­ts qui pèsent lourd sur la santé mentale et l’économie. L’idée, c’est de dire que c’est à cet individu qui refuse la vaccinatio­n d’en assumer les conséquenc­es, et non à l’Etat», tranche le professeur de philosophi­e David Enoch. Une position qui semble s’imposer en Israël, où les personnes de plus de 16 ans non vaccinées pourraient devenir bientôt minoritair­es. Aujourd’hui, plus de trois millions d’Israéliens, soit un tiers de la population, sont entièremen­t immunisés, et près de 50% ont reçu une première piqûre.

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(JACK GUEZ/AFP) Un juif religieux certifie avoir été complèteme­nt vacciné en présentant sa «carte verte».

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