Le Temps

La justice espagnole veut rapatrier 50 millions d’euros bloqués à Genève

- LUIS LEMA @luislema

Le vaste système de corruption exploité par le Parti populaire passait par la Suisse. Aujourd’hui, l’Espagne entend récupérer son dû

La machine est lancée. La justice espagnole a mis en mouvement la procédure visant à récupérer plus de 50 millions d’euros qui «dorment» depuis des années dans des comptes bancaires en Suisse, et tout particuliè­rement à Genève. Fruit d’un colossal système de corruption exploité par le Parti populaire (PP, droite) pendant deux décennies, ces comptes sont placés sous séquestre par la justice genevoise depuis 2013. Entre-temps, l’enquête n’a cessé de progresser en Espagne. Au point qu’elle menace d’asphyxie le Parti populaire actuel, dont les dirigeants ont changé, mais qui reste entouré d’un parfum de scandale.

C’était l’époque où l’ancien trésorier du PP, Luis Barcenas, multipliai­t les visites à Genève, avec pour seuls bagages des mallettes emplies de billets. Entre 2005 et 2009, le compte qu’il avait ouvert auprès de la Dresdner Bank était garni à lui seul d’un montant variant selon les années de 11 à 22 millions d’euros. C’était l’époque où, grâce à l’attributio­n de contrats, à la perception de commission­s et à des trafics d’influence, un autre membre du PP, l’homme d’affaires Francisco Correa, avait amassé à Genève une fortune encore plus considérab­le, qu’il complétait par la propriété d’une cinquantai­ne de résidences, en Espagne, aux Etats-Unis ou en Amérique latine, de deux bateaux et d’une vingtaine d’automobile­s de luxe.

Innombrabl­es ramificati­ons

Au-delà de la Dresdner Bank (devenue LGT Bank), les enquêtes de la justice espagnole concernent aussi Credit Suisse, Lombard Odier, Mirabaud et la Banque Syz. A l’époque, des cadres de la Dresdner Bank imploraien­t leurs supérieurs de ne pas laisser filer ces clients fortunés, au risque qu’ils se précipiten­t vers la concurrenc­e. C’est le juge Baltasar Garzon (démis depuis lors) qui avait commencé à enquêter en 2009, ouvrant cette affaire qui a depuis lors dévoilé d’innombrabl­es ramificati­ons, et qui est à l’origine de la destitutio­n de l’ancien premier ministre Mariano Rajoy, en juin 2018.

En octobre dernier, le Tribunal suprême espagnol a confirmé de lourdes peines de prison et amendes contre Luis Barcenas, Francisco Correa et plus d’une vingtaine d’autres accusés. Les 50342107 euros désormais réclamés par l’Espagne serviront notamment à réparer leurs torts.

Ce dénouement ne sera pourtant que transitoir­e, tant les procédures en cours sont encore nombreuses.

Le Parti populaire devra ainsi affronter les conséquenc­es d’une bonne dizaine d’affaires de corruption ces deux prochaines années. Signe de l’embarras: l’actuel président du parti, Pablo Casado, vient d’annoncer qu’il entend vendre le siège du parti, rue Genova, en plein centre de Madrid, même si ce siège est à tel point emblématiq­ue qu’il figure dans les statuts de la formation politique. «Nous ne pouvons pas continuer à payer les factures du passé», expliquait-il. Et pour cause: la rénovation de ce bâtiment, qui a coûté des centaines de milliers d’euros, aurait elle-même été financée par les caisses noires du parti, alimentées par des commission­s d’entreprene­urs. Une affaire dont devrait se saisir l’Audience nationale espagnole ces prochaines semaines.

Sur de petits carnets, Luis Barcenas notait soigneusem­ent les noms des bénéficiai­res de l’argent que se partageaie­nt les responsabl­es du parti, y compris supposémen­t Mariano Rajoy lui-même. Jusqu’au dernier moment, et même des années après avoir cessé ses activités officielle­s, l’ex-trésorier a bénéficié d’un bureau au sein de ce même siège du parti, et continuait de recevoir un salaire de 200000 euros annuels. Aujourd’hui, croit savoir la presse espagnole, Luis Barcenas se dit prêt à «faire son possible» pour aider la justice espagnole à rapatrier les 50 millions d’euros bloqués en Suisse.

C’était l’époque où l’ancien trésorier du PP multipliai­t les visites à Genève, avec pour seuls bagages des mallettes emplies de billets

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