La Chine clouée au pilori au Conseil des droits de l’homme
Lors de la première journée de la 46e session du Conseil des droits de l’homme qui s’est ouverte lundi, le chef de la diplomatie britannique Dominic Raab a porté la charge contre Pékin, appelant à élaborer à terme une résolution pour condamner la répression des Ouïgours dans cette région du nordouest de la Chine. Il n’est pas le seul
Pour sa première apparition postBrexit, le Royaume-Uni a fait sensation lors du premier jour de la 46e session du Conseil des droits de l’homme qui s’est ouverte virtuellement lundi à Genève. Alors qu’il y a quelques jours à Londres, le premier ministre Boris Johnson se déclarait un «fervent sinophile» espérant développer les relations commerciales avec la Chine, son ministre des Affaires étrangères, Dominic Raab, tenait un autre discours contre les violations des droits fondamentaux des Ouïgours dans le Xinjiang.
«Pratiques inacceptables à une échelle industrielle»
On a rarement entendu une telle charge au CDH. Dominic Raab a fustigé les violations systématiques des droits de cette minorité musulmane, dénonçant la torture, le travail forcé et la stérilisation forcée des femmes, des «pratiques inacceptables, se déroulant à une échelle industrielle». Pour lui, le CDH doit combattre cette impunité et adopter à l’avenir une résolution condamnant Pékin pour sa politique menée envers les Ouïgours.
Directrice du bureau de Human Rights Watch (HRW) à Londres, Yasmine Ahmed se félicite de l’intervention du ministre: «Le gouvernement britannique a lancé un appel historique pour l’élaboration d’une résolution qui devrait être un cri de ralliement pour d’autres membres du CDH.» Yasmine Ahmed voit l’offensive de Londres comme une première étape pour constituer une coalition de pays. A ce stade, il serait sans doute impossible d’obtenir suffisamment de votes en faveur d’une telle résolution. Mais les plaques tectoniques bougent et il n’est pas exclu qu’un vote favorable soit possible lors de prochaines sessions du CDH. Voici quelque temps, la Chine semblait toute-puissante, réussissant à faire passer ses résolutions «win-win» au CDH, visant surtout à coopérer en harmonie mais affaiblissant la notion de défense des droits humains.
Paradoxalement, les choses paraissent plus compliquées aujourd’hui. Au Conseil de sécurité de l’ONU à New York l’an dernier, l’Allemagne et le RoyaumeUni avaient déjà porté une première estocade, fustigeant les graves violations des droits fondamentaux commises par Pékin. L’automne dernier, la Chine a été très mal élue au CDH, obtenant le plus faible nombre de voix. Le fossé entre Occidentaux et Chinois voire au-delà semble se creuser sur le plan des droits humains. Lundi, le parlement du Canada a adopté une motion qualifiant
Une motion canadienne demande au CIO de déplacer les Jeux olympiques de Pékin de 2022 si le pouvoir chinois poursuit ce «génocide»
le traitement réservé à la minorité ouïgoure de «génocide». Le gouvernement Trudeau s’est abstenu, craignant une détérioration supplémentaire de ses relations avec Pékin. La motion demande même au CIO de déplacer les Jeux olympiques de Pékin en 2022 si le pouvoir chinois poursuit ce «génocide».
L’intervention de Dominic Raab et l’affaire canadienne ont fait bondir le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi. Devant le CDH, il a relevé qu’au Xinjiang, il était avant tout question de «contrer le terrorisme violent et le séparatisme. De fait, la région du Xinjiang a mis en oeuvre avec sérieux le plan d’action de l’ONU pour la prévention de l’extrémisme violent.» Grâce à ses efforts, a poursuivi Wang Yi, il n’y a pas eu la moindre attaque terroriste au cours des quatre dernières années. «La région jouit d’une stabilité sociale et d’un développement sain.» Contestant avec véhémence les accusations de «génocide et de travail forcé», il a relevé qu’entre 2010 et 2018 la population ouïgoure du Xinjiang a augmenté de près de 2,5 millions d’habitants. Cherchant à prouver qu’il n’y a pas d’oppression religieuse, Wang Yi a souligné que la région compte plus de 24000 mosquées, soit une pour 530 musulmans.
La sinophilie de Boris Johnson enrage des élus conservateurs
A Westminster, ce discours chinois n’émeut pas. Les parlementaires britanniques sont intraitables sur les Ouïgours comme ils le sont à propos de l’ancienne colonie Hongkong. Un grand nombre d’élus conservateurs poussent à des mesures sévères contre Pékin et enragent face à la «sinophilie» commerciale de leur premier ministre. Un lord a proposé un amendement à la loi sur le commerce qui imposerait d’aller en justice au Royaume-Uni si le pays avec lequel Londres commerce a commis un génocide. Le cas échéant, les relations commerciales pourraient être interrompues. L’amendement a depuis été édulcoré, mais il pose une question plus large: quelles relations commerciales entretenir avec la Chine, qui sera bientôt la première économie mondiale?
Lundi à Genève, Dominic Raab a déclaré avoir pris des mesures pour s’assurer qu’aucune entreprise profitant du travail forcé au Xinjiang ne pourrait déployer ses activités au Royaume-Uni. L’Allemagne est sur deux fronts: très critique de Pékin en matière de droits humains, elle est en revanche très active dans le domaine commercial, Pékin étant un marché d’exportation majeur pour Berlin. C’est d’ailleurs dans cette logique qu’elle a poussé les Européens à conclure l’Accord global UE-Chine sur les investissements malgré les avertissements de Washington.
Le fort positionnement britannique sur les Ouïgours est une preuve, estime Yasmine Ahmed, que Londres «ne veut pas seulement se profiler dans le domaine commercial dans une époque post-Brexit, mais qu’il veut aussi adopter une posture morale. C’est une manière de forger sa nouvelle identité.»
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