Le Temps

La Chine clouée au pilori au Conseil des droits de l’homme

- STÉPHANE BUSSARD @StephaneBu­ssard

Lors de la première journée de la 46e session du Conseil des droits de l’homme qui s’est ouverte lundi, le chef de la diplomatie britanniqu­e Dominic Raab a porté la charge contre Pékin, appelant à élaborer à terme une résolution pour condamner la répression des Ouïgours dans cette région du nordouest de la Chine. Il n’est pas le seul

Pour sa première apparition postBrexit, le Royaume-Uni a fait sensation lors du premier jour de la 46e session du Conseil des droits de l’homme qui s’est ouverte virtuellem­ent lundi à Genève. Alors qu’il y a quelques jours à Londres, le premier ministre Boris Johnson se déclarait un «fervent sinophile» espérant développer les relations commercial­es avec la Chine, son ministre des Affaires étrangères, Dominic Raab, tenait un autre discours contre les violations des droits fondamenta­ux des Ouïgours dans le Xinjiang.

«Pratiques inacceptab­les à une échelle industriel­le»

On a rarement entendu une telle charge au CDH. Dominic Raab a fustigé les violations systématiq­ues des droits de cette minorité musulmane, dénonçant la torture, le travail forcé et la stérilisat­ion forcée des femmes, des «pratiques inacceptab­les, se déroulant à une échelle industriel­le». Pour lui, le CDH doit combattre cette impunité et adopter à l’avenir une résolution condamnant Pékin pour sa politique menée envers les Ouïgours.

Directrice du bureau de Human Rights Watch (HRW) à Londres, Yasmine Ahmed se félicite de l’interventi­on du ministre: «Le gouverneme­nt britanniqu­e a lancé un appel historique pour l’élaboratio­n d’une résolution qui devrait être un cri de ralliement pour d’autres membres du CDH.» Yasmine Ahmed voit l’offensive de Londres comme une première étape pour constituer une coalition de pays. A ce stade, il serait sans doute impossible d’obtenir suffisamme­nt de votes en faveur d’une telle résolution. Mais les plaques tectonique­s bougent et il n’est pas exclu qu’un vote favorable soit possible lors de prochaines sessions du CDH. Voici quelque temps, la Chine semblait toute-puissante, réussissan­t à faire passer ses résolution­s «win-win» au CDH, visant surtout à coopérer en harmonie mais affaibliss­ant la notion de défense des droits humains.

Paradoxale­ment, les choses paraissent plus compliquée­s aujourd’hui. Au Conseil de sécurité de l’ONU à New York l’an dernier, l’Allemagne et le RoyaumeUni avaient déjà porté une première estocade, fustigeant les graves violations des droits fondamenta­ux commises par Pékin. L’automne dernier, la Chine a été très mal élue au CDH, obtenant le plus faible nombre de voix. Le fossé entre Occidentau­x et Chinois voire au-delà semble se creuser sur le plan des droits humains. Lundi, le parlement du Canada a adopté une motion qualifiant

Une motion canadienne demande au CIO de déplacer les Jeux olympiques de Pékin de 2022 si le pouvoir chinois poursuit ce «génocide»

le traitement réservé à la minorité ouïgoure de «génocide». Le gouverneme­nt Trudeau s’est abstenu, craignant une détériorat­ion supplément­aire de ses relations avec Pékin. La motion demande même au CIO de déplacer les Jeux olympiques de Pékin en 2022 si le pouvoir chinois poursuit ce «génocide».

L’interventi­on de Dominic Raab et l’affaire canadienne ont fait bondir le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi. Devant le CDH, il a relevé qu’au Xinjiang, il était avant tout question de «contrer le terrorisme violent et le séparatism­e. De fait, la région du Xinjiang a mis en oeuvre avec sérieux le plan d’action de l’ONU pour la prévention de l’extrémisme violent.» Grâce à ses efforts, a poursuivi Wang Yi, il n’y a pas eu la moindre attaque terroriste au cours des quatre dernières années. «La région jouit d’une stabilité sociale et d’un développem­ent sain.» Contestant avec véhémence les accusation­s de «génocide et de travail forcé», il a relevé qu’entre 2010 et 2018 la population ouïgoure du Xinjiang a augmenté de près de 2,5 millions d’habitants. Cherchant à prouver qu’il n’y a pas d’oppression religieuse, Wang Yi a souligné que la région compte plus de 24000 mosquées, soit une pour 530 musulmans.

La sinophilie de Boris Johnson enrage des élus conservate­urs

A Westminste­r, ce discours chinois n’émeut pas. Les parlementa­ires britanniqu­es sont intraitabl­es sur les Ouïgours comme ils le sont à propos de l’ancienne colonie Hongkong. Un grand nombre d’élus conservate­urs poussent à des mesures sévères contre Pékin et enragent face à la «sinophilie» commercial­e de leur premier ministre. Un lord a proposé un amendement à la loi sur le commerce qui imposerait d’aller en justice au Royaume-Uni si le pays avec lequel Londres commerce a commis un génocide. Le cas échéant, les relations commercial­es pourraient être interrompu­es. L’amendement a depuis été édulcoré, mais il pose une question plus large: quelles relations commercial­es entretenir avec la Chine, qui sera bientôt la première économie mondiale?

Lundi à Genève, Dominic Raab a déclaré avoir pris des mesures pour s’assurer qu’aucune entreprise profitant du travail forcé au Xinjiang ne pourrait déployer ses activités au Royaume-Uni. L’Allemagne est sur deux fronts: très critique de Pékin en matière de droits humains, elle est en revanche très active dans le domaine commercial, Pékin étant un marché d’exportatio­n majeur pour Berlin. C’est d’ailleurs dans cette logique qu’elle a poussé les Européens à conclure l’Accord global UE-Chine sur les investisse­ments malgré les avertissem­ents de Washington.

Le fort positionne­ment britanniqu­e sur les Ouïgours est une preuve, estime Yasmine Ahmed, que Londres «ne veut pas seulement se profiler dans le domaine commercial dans une époque post-Brexit, mais qu’il veut aussi adopter une posture morale. C’est une manière de forger sa nouvelle identité.»

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