«La France souffre d’une pandémie de gaspillage public»
Dans son essai «La France peut-elle tenir encore longtemps?», l’économiste libérale Agnès Verdier-Molinié pourfend la tentation hexagonale d’une hausse illimitée des dépenses publiques. Le mur de la dette existe, affirme-t-elle avant sa rencontre, mercredi soir, avec les lecteurs du «Temps»
Les Français aiment les vérités douloureuses. C’est ainsi que le dernier livre d’Agnès Verdier-Molinié – «La France peut-elle tenir encore longtemps?» (Albin Michel) – figure, en pleine crise sanitaire, dans la liste des best-sellers. De quoi faire de cette économiste une interlocutrice de choix pour les lecteurs du Temps, qui la rencontreront en ligne ce mercredi, entre 18 et 19 heures.
Votre verdict est sans appel: la France va dans le mur. Son Etat providence est un gouffre qui creuse son endettement à des niveaux insupportables et bientôt
périlleux. J’aimerais que la France, confrontée comme ses voisins européens à d’énormes défis sociaux durant cette crise sanitaire, ne soit pas dans cette situation. Mais la comparaison est sans appel. Je montre dans mon livre que la France est, jusqu’en octobre 2020, le pays qui a emprunté le plus pour faire face à la pandémie. Son endettement public a crû à hauteur de 13% de son produit intérieur brut (PIB), là où celui de l’Allemagne a augmenté de 7,5%, la moitié! Or la situation française, au début de la crise sanitaire, n’avait malheureusement rien à voir avec celle de son voisin allemand. Depuis 2015, notre endettement n’a pas cessé d’augmenter pour atteindre, depuis l’apparition du coronavirus, des besoins de financements inédits à hauteur de 1 milliard d’euros par jour. Ajoutez à cela la tendance actuelle, qui verra 2021 creuser encore un peu plus ce fardeau de la dette avant la présidentielle de 2022. Il est normal de se demander si la France peut tenir encore longtemps…
Pour vous, il y a urgence. Pour d’autres,
il y a de la marge. Où est cette «marge»? En 2023, près de 180 milliards d’euros d’emprunts arriveront à échéance et il faudra réemprunter pour les rembourser. Ceux qui prétendent pouvoir attendre nous mentent. Et ceux qui parient sur une possible annulation de la dette covid conduisent le pays dans le mur. Cette annulation n’interviendra pas.
Et pendant ce temps, pandémie ou pas, la pression fiscale française reste l’une
des plus élevées au monde. Les Français sont ceux qui paient le plus d’impôts au monde. C’est aussi simple que cela. Ils sont matraqués sur le plan fiscal, comme le prouve l’augmentation des prélèvements obligatoires, passés de 41% du PIB en 2015 à 45% en 2020. Le seuil de tolérance est atteint. La crise des «gilets jaunes», déclenchée fin 2018 par l’augmentation envisagée du carburant diesel, a montré que nous sommes au maximum du consentement fiscal dans le pays. Le plafond d’imposition est atteint. Une goutte de fiscalité supplémentaire peut déclencher des mouvements sociaux incontrôlables.
Vous oubliez le Covid-19, ce rouleau compresseur qu’est la crise sanitaire, la nécessité de parer au plus pressé, d’amortir le
choc social… Je ne l’oublie pas. Oui, les besoins sont énormes, mais la crise sanitaire fonctionne comme un révélateur. Elle met au jour les dysfonctionnements d’un système de santé français suradministré, épuisé par l’empilement de strates. La France sanitaire est la championne des surcoûts et des inefficiences. Nous n’avons jamais autant dépensé pour les services publics. Nous n’avons jamais mis autant d’argent dans la machine. Et pour quel résultat? Les Français sont-ils mieux soignés que la moyenne des Européens? L’hôpital français a-t-il fait la preuve de son extraordinaire efficacité ? La réalité est que le pays est confronté à un problème terrible de surcoût de ses services publics, évalué à 84 milliards d’euros par an. Ce surcoût mine notre Etat providence. En pleine crise sanitaire, gaspiller est une faute majeure.
Gaspiller… Vous y allez fort! La France fait face à une tentation redoutable, meurtrière pour son économie: celle de la dépense illimitée. A quoi cela sert-il de créer sans cesse de nouvelles aides sociales alors que les entreprises sont accablées d’impôts et que la reprise de leur activité, après le confinement, sera souvent rendue impossible par le fardeau fiscal, bien trop lourd, qu’elles devront acquitter? Il n’y a pas d’argent magique. Pas d’argent gratuit. La crise sanitaire ne doit pas tuer ce débat, au profit de chimères sur des dépenses sociales illimitées. La France souffre d’une pandémie de gaspillage public.
Emmanuel Macron avait promis de «transformer la France». S’il se représente en 2022 pour un second mandat, que direzvous? La France n’a pas été transformée. Les réformes structurelles ont été abandonnées dès le début du quinquennat, ou bien rendues incompréhensibles par leur complexité technocratique, comme ce fut le cas avec la réforme des retraites, aujourd’hui en suspens. Le pays reste victime de sa centralisation excessive et de la concentration des pouvoirs dans les mains de l’exécutif, sans capacité réelle de contrôle du parlement. L’agenda est simple. Il faut remettre la transformation de la France à l’ordre du jour, car elle est indispensable. La pandémie a aggravé l’état de santé du patient français. Elle rend encore plus insupportable sa pathologie de l’endettement comme remède universel.
Vidéoconférence en ligne «La France et son Etat-providence peuvent-ils tenir longtemps?», mercredi 24 février de 18h00 à 19h00. Inscriptions sur: letemps.ch/evenements
«Ceux qui parient sur une possible annulation de la dette covid conduisent le pays dans le mur»