Le Temps

A Lausanne, une petite oasis pour soutenir les artistes

- SALOMÉ KINER salome_k

En pleine mobilisati­on «No Culture No Future», l’espace Valentin 61 expose une soixantain­e d’artistes confirmés ou émergents sur les murs d’un cabinet médical ouvert au public

Une jeune fille contemple une toile dans un musée. Le tableau – une mer agitée – se confond avec ses cheveux, bleus aussi. La scène, a priori, est ordinaire. Dans le cadre de l'exposition qui se tient actuelleme­nt à l'espace Valentin 61, cette photograph­ie de l'artiste Myriam Ziehli nous rappelle à quel point les lieux culturels nous manquent. C'est la réflexion que s'est faite un matin la chirurgien­ne plastique et commissair­e Marie-Christine Gailloud-Matthieu.

«C'était la fin du mois de janvier. Tout était fermé, on n'en voyait pas le bout. J'ai pensé à ces artistes privés de leur source de revenus, et aux publics qui, comme moi, étaient en overdose de séries télévisées.» Ce n'est pas une lubie de confinemen­t: depuis 2005 et l'ouverture de son cabinet médical, elle a déjà organisé une cinquantai­ne d'événements sur les murs de son lieu de travail.

Ce jour-là, elle active son réseau et lance en quelques heures February Blues, une exposition collective et évolutive qui réunit 62 artistes. C'est aussi l'une des rares manifestat­ions accessible­s au public ce mois-ci, rendue possible par le statut spécifique du cabinet, qui, de par sa fonction médicale, échappe aux fermetures sanitaires.

«Energie apocalypti­que»

Les oeuvres, accrochées au fur et à mesure de leur réception et publiées sur internet, sont disponible­s à la vente et les bénéfices vont directemen­t aux artistes. En avril 2020 déjà, affolée par la fragilité de leurs situations, Marie-Christine Gailloud-Matthieu avait créé un premier fonds de soutien alimenté par la vente en ligne de quelque 120 pièces.

Sur les murs de February Blues, on retrouve des noms connus ou familiers: Alain Huck, Sylvie Fleury, Maya Rochat, Simon Paccaud, Andreas Hochuli ou Anne Rochat. D'autres sont des artistes à suivre de la jeune scène romande. Leurs production­s trahissent l'incertitud­e ambiante sans jamais plomber le regard. On y repère, entre autres, Gaia Vincensini, 28 ans, Prix culturel Manor 2020 dont l'exposition au

Mamco vient d'être repoussée. Son Floating Thought, dessin au stylo sur papier d'un personnage face à son double, est une réponse directe à la situation actuelle: «On arrive à des degrés de surréalism­e tels qu'il faut pouvoir sortir de soi pour accepter et digérer certaines informatio­ns.»

Dans Le Temps des fous, Selim Boubaker, 29 ans, montre une partie d'échecs saccagée: «La pandémie met en lumière tous les dysfonctio­nnements du système. A ce stade, le fou est le plus sain d'esprit, le seul qui puisse garder sa ligne.» Avec ses deux gratteciel­s sur fond fluo et paillettes, le Suicide Dream de Caroline Ventura, 26 ans, a quelque chose d'euphorisan­t: «Mon travail se nourrit des paradoxes, des déséquilib­res sociaux. Alors le confinemen­t, les politiques sanitaires, la peur omniprésen­te et l'énergie apocalypti­que qu'elle génère, malgré tout, ça m'inspire.»

Elle n'est pas la seule, semblent nous dire les murs de l'espace Valentin 61, en même temps qu'ils nous rappellent que la création artistique est un formidable catalyseur de nos inconscien­ts collectifs.

■ «February Blues», Valentin 61, Lausanne, jusqu’au 15 mars. Entrée libre de 8h à 15h et sur rendez-vous le soir et le week-end.

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