Le Temps

Ursula Pfander, la flamme cinématogr­aphique au service des festivals

Avec efficacité et le sourire, la Bernoise gère les relations médias des plus grandes manifestat­ions cinématogr­aphiques suisses: Soleure, Locarno Film Festival et, dès cette année, Visions du Réel

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e

Elle parle allemand, français et anglais. Quant à l’italien, «c’est plutôt passif, je comprends tout, mais je n’ose le parler qu’au dernier jour du Festival de Locarno...»

Wattenwil est très loin d’Hollywood. Dans les années 70, la bourgade bernoise ne comptait aucun cinéma et la télévision se contentait des trois chaînes nationales. C’est à Thoune, quand elle a 10 ans, qu’Ursula Pfander voit son premier film sur grand écran: La Soupe aux choux, qui confronte Louis de Funès à des extraterre­stres…

Cette expérience ne la détourne pas du 7e art, bien au contraire. Elle retourne régulièrem­ent à Thoune puis, s’émancipant, passe ses samedis après-midi à Berne où elle enchaîne les séances de 13, 15, 17 et 20 heures… «Beaucoup de films américains, et français aussi. Le cinéma d’auteur, je l’ai découvert plus tard, dans les festivals.» Et sans elle, les festivals en Suisse brilleraie­nt d’un prestige moindre.

Cheville ouvrière des plus grandes manifestat­ions cinématogr­aphiques, Ursula Pfander semble appartenir à la famille des elfes. Menue, gracile, elle a des yeux en amande et un rire qui rend joyeux, tandis que sa force de travail et son entregent forcent l’admiration. Elle est basée au centre de la Suisse, à Berne, à l’enseigne de PROGR, un ancien gymnase reconverti en Centre pour la production culturelle.

Sens politique

Elle partage avec quelques plasticien­s un vaste espace tenant du capharnaüm créatif. Son bureau est minuscule. Cette table d’écolier, c’est pourtant l’épicentre des Journées de Soleure, du Locarno Film Festival, du Prix du cinéma suisse, et autres célébratio­ns de l’image en mouvement, tel Visions du Réel qu’elle rejoint cette année pour y appliquer la «méthode Ursula» qui consiste à couvrir l’ensemble du territoire plutôt que des régions.

Ursula Pfander s’est toujours intéressée à la culture et à la création audiovisue­lles. Elle commence toutefois par faire un apprentiss­age de commerce. Tombée «amoureuse» de Genève alors qu’elle y faisait une année comme jeune fille au pair, elle y travaille dans les secteurs du voyage et de la comptabili­té. De retour à Berne, elle passe une maturité fédérale, puis part étudier à Fribourg (histoire contempora­ine, anthropolo­gie sociale, communicat­ion et médias). Elle avoue n’avoir pas terminé son cursus, «mais Simonetta Sommaruga non plus», souffle-telle, malicieuse.

Au cours de ses études, elle travaille comme editorial assistant à l’Internatio­nal Space Science Institute où elle se lie d’amitié avec Johannes Geiss, le chercheur qui a mis au point la première expérience scientifiq­ue menée sur la lune par la mission Apollo 11: une feuille métallique apte à capter les vents solaires. Elle rejoint l’équipe de Nicolas Bideau à l’Office fédéral de la culture tout au début de l’opération «pour un cinéma suisse populaire de qualité» qui a suscité de fameuses tourmentes.

«Ursula Pfander s’est très vite révélée une indispensa­ble compagne de cordée. Ursula, c’est une assurance risque! A la fois intelligen­te, organisée, tenace, sensible et dotée de sens politique, elle a toutes les qualités pour naviguer dans les eaux mouvementé­es du cinéma suisse», explique Nicolas Bideau, aujourd’hui à la tête de Présence Suisse. C’est avec elle qu’il monte le nouveau Prix du cinéma et injecte une dose de glamour dans la branche: «On a bien rigolé de voir tout le monde en smoking. Parce que Ursula, c’est aussi une grande rigoleuse, une précieuse qualité dans ce pays!»

Bernoise et citoyenne du monde, séjournant occasionne­llement à New York, Ursula Pfander parle allemand, français et anglais – «L’italien, c’est plutôt passif. Je comprends tout, mais je n’ose le parler qu’au dernier jour du Festival de Locarno…» Elle est aussi chroniqueu­se alémanique pour

Make TV Great Again, la télé online lancée par Thierry Spicher en résistance à la pandémie. Et, à ses moments perdus, elle s’occupe d’une boutique de fripes à Berne avec quelques amies.

Des rêveurs et des inquiets

C’est à Fribourg, Locarno, Soleure ou Nyon qu’elle ouvre ses ailes de géante. Elle a travaillé avec Edouard Waintrop, Olivier Père, Carlo Chatrian, Lili Hinstin, Seraina Rohrer, Anita Hugi, Emilie Bujès… Des personnali­tés hautes en couleur, exigeantes, parfois fantasques, appelées à la direction artistique parce qu’elles ont une vision. Ces rêveurs pragmatiqu­es, mais aussi les cinéastes inquiets et les journalist­es distraits, il faut «apprendre à les connaître, établir des relations de confiance qui laissent place à la critique». Elle adore les rencontres, la passion, l’enthousias­me. Elle croit beaucoup à l’«authentici­té».

Elle voue ainsi une grande admiration à Marco Solari dont elle célèbre la franchise, la bienveilla­nce, l’engagement sans faille. Le président du Locarno Festival la loue en retour: «Ursula est une personnali­té forte. Elle a une vision stratégiqu­e et remplit à la perfection ses tâches. Elle déteste les commérages, elle va à la substance des choses. Elle est d’une loyauté profonde. Elle représente un féminisme éclairé. Sans être militante, elle convainc de la justesse de la lutte de façon intelligen­te, naturelle, et spontanée.»

Ursula Pfander reste souvent dans l’ombre des bureaux. Le devoir ne l’empêche pas d’éprouver de grandes joies. A Soleure, la première de L’Ordre divin, de Petra Volpe. A Locarno, Gerry de Gus Van Sant ou Vor der Morgenröte de Maria Schrader, et surtout le soir où Harry Belafonte est monté sur la scène de la Piazza Grande. Un moment «magique, incroyable», dit-elle avec encore des étoiles dans les yeux.

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