Le Temps

La très épineuse succession d’Angela Merkel

La course entre le champion de la CDU Armin Laschet et celui de la CSU Markus Söder se poursuit. Si le premier a reçu un large soutien au sein de son parti, le second a déclaré qu’une consultati­on plus large s’imposait

- STÉPHANE BUSSARD @StephaneBu­ssard

La succession d’Angela Merkel promettait de ne pas être facile. Après seize ans au pouvoir, la chancelièr­e allemande, toujours populaire, laisse derrière elle un Parti démocrate-chrétien (CDU/CSU) plein de doutes. Le fort soutien apporté lundi par la direction du parti à la candidatur­e d’Armin Laschet pour les législativ­es du 26 septembre pourrait indiquer que le parti a surmonté son questionne­ment interne. Il n’en est rien.

Laschet a pu se targuer d’un bilan positif à la tête du land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le plus peuplé d’Allemagne. Mais depuis qu’il a accédé à la présidence de la CDU en janvier, les affaires se compliquen­t. Laxiste en matière de lutte contre le Covid-19 à ses débuts, il s’est rallié tardivemen­t à des mesures plus strictes. Il a beau être proche de Merkel, sa cote de popularité est en chute libre. De plus, la guerre des chefs fait rage au sein des démocrates-chrétiens. Il y a peu, Markus Söder, président de la CSU, le parti frère, s’est lui aussi porté candidat. Avec l’appui massif de la CSU, qui n’a jusqu’ici jamais réussi à faire élire un chancelier, ce très populaire chef du land de Bavière ne compte pas prendre de décision avant la fin de la semaine.

Or, face aux Verts, qui sont en pleine ascension (près de 23% des intentions de vote) et qui désigneron­t leur candidat le 19 avril, il y a pourtant urgence à trancher. La CDU est sur une trajectoir­e inquiétant­e. Elle a enregistré voici peu ses pires scores électoraux dans le Bade-Wurtemberg et en Rhénanie-Palatinat, la patrie d’Helmut Kohl. Elle n’est plus créditée que de 26-28% des intentions de vote, contre 35% en février. Elle est happée par des affaires de corruption en lien avec l’achat de masques anti-covid. Si s’ajoute à cela une lutte fratricide entre CSU et CDU, la succession d’Angela Merkel pourrait tourner au cauchemar.

Un effondreme­nt du parti ne serait bon ni pour notre voisin, ni pour l’Europe. Le vrai danger, pour Armin Laschet, est d’être soutenu avant tout par les dirigeants de la CDU qui refusent la tenue de primaires. Ce manque de légitimité populaire au sein du parti pourrait se retourner contre lui le 26 septembre prochain.

Pour renverser la tendance, cet ex-eurodéputé francophil­e devra convaincre vite. Au fil de sa carrière, il a su faire preuve de combativit­é. Il incarne aussi, à l’image de Merkel, un centrisme apprécié outre-Rhin et la stabilité, une vertu que les Allemands vénèrent. Imbibé d’Europe, il semble armé pour pondérer au mieux le rôle d’une Allemagne forte dans le concert européen.

La CDU n’est plus créditée que de 26-28% des intentions de vote, contre 35% en février

Se dirige-t-on vers un combat de coqs à la tête de la famille chrétienne-démocrate allemande (CDU/CSU) à cinq mois des élections législativ­es du 26 septembre? Officielle­ment, les deux candidats en lice pour devenir candidat à la chanceller­ie au nom de leur formation politique ne parlent que d’union et d’entente. Ni Armin Laschet, président de la CDU, ni Markus Söder, président du parti frère bavarois de la CSU, ne souhaite de division. Dans les faits toutefois, aucun des deux ne semble prêt à céder la place à l’autre.

«Il nous faut débattre. Nous vivons en démocratie. Une décision ne peut pas être prise par une trentaine de personnes» MARKUS SÖDER, CANDIDAT DE LA CSU

Lundi en début d’après midi, l’avantage est allé à Armin Laschet. L’actuel président de la CDU a remporté un point déterminan­t, en obtenant un large soutien des diverses instances dirigeante­s de son parti. A priori, rien d’étonnant pour un jeune président, élu voici à peine trois mois. Sauf que dans les faits, l’ampleur de ce soutien a étonné, vu les très mauvais sondages d’Armin Laschet auprès de l’opinion publique allemande.

Revigoré par ce soutien fondamenta­l – la CDU a par tradition l’avantage sur son petit frère de la CSU dans la course à la chanceller­ie –, le chef de la région la plus peuplée d’Allemagne, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, s’est présenté devant la presse comme s’il était déjà en campagne. Avec un ton déterminé, Armin Laschet a énoncé ses priorités en tant que potentiell­e tête de liste de la CDU/ CSU. Et elles sont nombreuses, entre la gestion de la pandémie, la lutte contre le changement climatique et contre le parti d’extrême droite Alternativ­e pour l’Allemagne, le maintien d’une économie et d’une industrie fortes, le soutien à une Allemagne ouverte et à une Europe unie.

Le choix d’une certaine stabilité

En soutenant Armin Laschet, la direction de la CDU fait le choix d’une certaine stabilité, à une époque de pandémie et alors que Angela Merkel s’apprête à quitter le pouvoir. Armin Laschet est en effet un proche de la chancelièr­e, tenant d’une ligne centriste, fiable politiquem­ent et capable de rassembler autour de lui. Et tant pis si sa cote de popularité est au plus bas. Seuls 23% des Allemands le jugent capables de devenir chancelier, contre 56% pour son concurrent Markus Söder. L’intéressé, lui, évince ce «détail». «Nous savons tous que les sondages peuvent changer très vite», a-t-il rappelé hier en tablant sur une bonne gestion de la crise sanitaire et économique d’ici septembre pour se refaire une santé auprès des électeurs.

Si le soutien de la direction de la CDU pour Armin Laschet ne signifie pas sa victoire officielle face à Markus Söder, le vent a paru souffler dans sa direction. Mais cela, c’était avant qu’un avis de tempête ne soit lancé de Munich, en Bavière. Contre toute attente, le président de la CSU a en effet annoncé, en milieu de journée, ne pas renoncer à sa candidatur­e. La veille, il avait pourtant déclaré se porter candidat à condition de recevoir un large soutien du grand frère de la CDU.

«Le signal lancé par la direction de la CDU est important et je ne vais pas l’ignorer, a-t-il souligné lundi devant la presse. Toutefois nous recevons d’autres signaux de la part de nombreuses fédération­s régionales. Il nous faut débattre. Nous vivons en démocratie. Une décision ne peut pas être prise par une trentaine de personnes», a-t-il ajouté, calmement. Et de rappeler, à ceux qui l’auraient oublié, sa popularité auprès des Allemands. «Les sondages ne font pas tout mais nous ne pouvons pas non plus les ignorer», juge-t-il.

Option jugée trop longue à organiser

Les membres de la CDU et de la CSU seront-ils appelés à trancher ce conflit, comme le demandent certains? Le ministre-président de Bavière juge l’option trop contraigna­nte et trop longue à organiser. Il mise plutôt sur un dialogue avec les fédération­s régionales dont certaines, comme celle de Berlin, le soutiennen­t déjà officielle­ment. Il mise aussi sur les députés du Bundestag qui, à cinq mois du scrutin et au vu de la chute des intentions de vote pour leur parti, s’inquiètent pour leurs futurs mandats. Les parlementa­ires pourraient faire pencher la balance en faveur du candidat bavarois. Un groupe d’au moins 65 députés de la CDU demandent justement, depuis quelques jours, à être impliqués dans un processus de décision qui aura des conséquenc­es sur eux, sur leur parti et sur le pays.

Si ce lundi les mots restaient mesurés, le bras de fer entre Armin Laschet et Markus Söder est bel et bien engagé. Les deux candidats affirment vouloir trouver une solution, à deux, d’ici aux prochains jours.

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(MARKUS SCHREIBER/POOL VIA REUTERS) Armin Laschet: «Nous savons tous que les sondages peuvent changer très vite.»

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