Le Temps

L’utilité des autotests en question

Ils permettent certes de casser quelques chaînes de transmissi­on, mais avec des dépistages déjà largement accessible­s, et en l’absence de tout système de remontée d’informatio­n, l’apport des autotests en termes épidémique­s ne convainc guère

- FABIEN GOUBET @fabiengoub­et

COVID-19 L’apport des autotests, moins fiables que les tests PCR ou les tests antigéniqu­es rapides, sur le plan épidémiolo­gique ne convainc guère

De nombreux scientifiq­ues critiquent leur utilité, voire carrément alertent quant à leur danger potentiel. Gare aux faux résultats, positifs ou négatifs

Ce sont des «cacahuètes» servies avant le plat principal – soit les vaccins –, ironise un expert de la task force scientifiq­ue Covid19, qui juge l’épisode anecdotiqu­e

La question du prix de cette vaste campagne de distributi­on fait également débat. La Confédérat­ion débourse 12 francs par test mais le prix réel est tenu secret

A peine arrivés, les autotests ont déjà du plomb dans l’aile, après que des scientifiq­ues ont sévèrement critiqué leur utilité voire alerté quant à leurs dangers potentiels. Introduits depuis le 7 avril dans les pharmacies, ils ont été présentés comme le troisième pilier de la stratégie suisse de dépistage du Covid-19. La Confédérat­ion envisage 40 millions de tests inclus dans une enveloppe totale de 1 milliard de francs.

Vous les avez peut-être déjà essayés. Bien que leur utilisatio­n soit effectivem­ent plus aisée que pour les autres tests réalisés par des profession­nels, elle reste loin de la banalité d’un brossage de dents. Il faut scrupuleus­ement suivre plusieurs étapes: se désinfecte­r les mains, manipuler soigneusem­ent l’écouvillon pour ramoner ses narines, plonger ensuite celui-ci dans un tube rempli d’un tampon d’extraction avant de mélanger le tout et d’en verser quelques gouttes sur une bandelette révélatric­e, semblable à un test de grossesse.

En cas de faux pas, le test indique un code d’erreur, il est alors invalide. A noter que le personnel en pharmacie ne nous a donné que des informatio­ns rudimentai­res, avant de nous renvoyer vers un mode d’emploi en ligne hébergé sur le site de Roche, le laboratoir­e derrière les autotests actuelleme­nt disponible­s.

Ces tests ne sont pas aussi fiables que les tests PCR ou les tests antigéniqu­es rapides, notamment parce que seule la partie antérieure du nez, qui contient moins de virus, est investigué­e. Conséquenc­e d’une moindre sensibilit­é et spécificit­é, un certain nombre de personnes seront des «faux positifs» (saines, mais dont le résultat est positif ) ou des «faux négatifs» (infectées, mais au résultat négatif).

L’écouvillon, pas sans risque

Dans une tribune publiée la semaine passée dans les colonnes du Temps, Nicolas Vuilleumie­r, chef de service de médecine de laboratoir­e aux Hôpitaux universita­ires de Genève (HUG) et président de l’Associatio­n des laboratoir­es médicaux de Suisse, estimait ainsi que compte tenu de la sensibilit­é des tests et du taux de positivité actuel dans le pays, ce seraient «40000 individus infectés mais non détectés, susceptibl­es de faciliter la transmissi­on de la maladie», qui pourraient circuler en Suisse. «La stratégie proposée va à l’encontre des exigences analytique­s usuelles du dépistage», assène-t-il.

Autre grief lié aux auto-prélèvemen­ts: ils pourraient, dans certaines conditions, être dangereux, a alerté l’Académie française de médecine dans un communiqué paru le 8 avril: face à «la multiplica­tion et la répétition des prélèvemen­ts, parfois effectués dans des conditions inadaptées», l’institutio­n rapporte la survenue «de graves complicati­ons décrites dans la littératur­e, notamment des brèches de l’étage antérieur de la base du crâne associées à un risque de méningite». Trop profond ou mal pratiqué, un écouvillon­nage pourrait donc avoir des conséquenc­es pour la santé – un risque non négligeabl­e compte tenu des dizaines de millions d’autotests qui seront effectués en Europe dans les semaines qui viennent.

Auteur d’un article critique sur les autotests en médecine paru dans la Revue médicale suisse, Nicolas Senn, directeur du départemen­t de médecine de famille au Centre universita­ire de médecine générale et santé publique à Lausanne (Unisanté), estime cependant que «les auto-prélèvemen­ts bien que moins performant­s que lorsque pratiqués en milieu médical, donnent de bons résultats et sont relativeme­nt faciles à réaliser, comme l’a montré l’utilisatio­n d’autotests sanguins dans le cas du paludisme».

Le scientifiq­ue relève toutefois que nombre d’autotests sur le marché relèvent principale­ment du marketing. Selon lui, un autotest est justifié «s’il pose un diagnostic fiable et s’il est pertinent en termes de santé publique», poursuit-il. Les autotests Covid-19 remplissen­t sans doute le premier critère (la sensibilit­é et la spécificit­é des tests de Roche vont au-delà des recommanda­tions de l’Organisati­on mondiale de la santé). Mais pour le second, c’est moins certain. La population ayant déjà un accès facilité au dépistage, l’apport supplément­aire des tests à la maison s’avère flou.

Des «cacahuètes»

En Allemagne, l’utilisatio­n des autotests s’est avérée décevante. Leur sensibilit­é en situation réelle – en prenant en compte les aléas des prélèvemen­ts, la mauvaise interpréta­tion des résultats, etc. – ne serait que de 30 à 50%, selon les dires d’une source scientifiq­ue crédible.

«Mieux vaut ne pas se laisser distraire par cet effet de manche qui n’aura aucun effet sur l’épidémie»

DIDIER TRONO, TASK FORCE COVID-19

Autre faiblesse soulignée par le professeur Vuilleumie­r, la Suisse n’a mis sur pied aucun système de remontée d’informatio­n. En cas de résultat positif, seuls un dépistage par PCR et un isolement sont préconisés. Impossible dans ces conditions d’avoir une idée de l’impact précis de ces tests sur l’épidémie. Au RoyaumeUni, où chacun reçoit deux autotests par semaine depuis le 9 avril, il est pourtant possible de saisir les résultats sur un site internet ou de les transmettr­e en appelant un numéro dédié. Handicapée par son sempiterne­l retard en termes de numérisati­on, la Suisse compte sur le bon vouloir et la discipline de chacun.

Les autotests conservent néanmoins quelque intérêt dans des cas précis. Ils permettron­t sans doute de casser des chaînes de transmissi­on, et de se rassurer en se sachant négatif avant de rendre visite à des proches vulnérable­s. Mais il n’y a pas grand-chose à en attendre en termes d’impact épidémique, estime le responsabl­e du groupe d’expert diagnostic et testing de la task force scientifiq­ue Covid-19, Didier Trono: «Ce sont des cacahuètes qu’on vous ressert parce que le dîner – en l’occurrence les vaccins – est en retard, ironise-t-il. Mieux vaut ne pas se laisser distraire par cet effet de manche qui n’aura aucun impact sur l’épidémie au-delà de l’anecdote.»

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(CHRISTIAN BEUTLER/KEYSTONE) Entre les erreurs d’interpréta­tion des résultats et les prélèvemen­ts mal effectués, la sensibilit­é réelle des autotests serait bien inférieure à celle vendue par leurs fabricants.

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