Le vaccin russe à l’épreuve
L’Agence européenne des médicaments tente de contenir l’enthousiasme de certains pays dont l’Allemagne, la France, l’Italie, la Slovaquie ou encore la Hongrie, qui sont tentés par le vaccin russe Spoutnik V. Elle ouvre deux enquêtes cette semaine
COVID Plusieurs pays dont l’Allemagne, la France, l’Italie ou encore la Hongrie sont tentés par le vaccin Spoutnik V, développé par un laboratoire russe
Mais l’Agence européenne des médicaments veut savoir si le fabricant a respecté les règles éthiques et les standards scientifiques lors de ses essais cliniques
C’est une semaine cruciale qui s’est ouverte pour le vaccin russe Spoutnik V. Des enquêteurs de l’Agence européenne des médicaments (AEM), qui est chargée de l’homologation de tous les médicaments et vaccins au sein de l’Union européenne (UE), se déplacent à Moscou pour inspecter les sites et conditions de production du vaccin. Parallèlement, le surveillant européen ouvre une enquête pour déterminer si le fabricant a respecté les règles éthiques et les standards scientifiques lors de ses essais cliniques. C’est à l’issue de ces deux enquêtes que l’agence décidera d’accorder ou pas le feu vert au vaccin. La demande d’homologation a été déposée fin février auprès de l’AEM.
Ce n’est de toute évidence pas l’entente cordiale entre l’AEM et le Russian Direct Investment Fund (RDIF), qui a financé le développement de Spoutnik V. La méfiance s’est installée dès août 2020 lorsque le Gamaleya Research Institute of Epidemiology and Microbiology a présenté le Spoutnik V, un nom qui fait référence aux satellites de la période où l’ancien empire soviétique menait la course à la conquête de l’espace. En Europe et aux EtatsUnis, les critiques ne s’étaient pas fait attendre. Selon eux, les essais cliniques avaient été menés sur un nombre trop limité de personnes et sur une période trop courte alors qu’une telle expérimentation peut durer entre six et dixhuit mois.
Le salut par «The Lancet»
Le salut pour Spoutnik V est arrivé par la revue médicale britannique The Lancet, qui l’a encensé en février, attestant même une efficacité à 91,6%. Une victoire des Russes sur le scepticisme des Occidentaux. L’AEM ne s’est pas pour autant empressée de donner son feu vert. En même temps, l’UE étant en retard dans sa campagne de vaccination, quelques pays européens ont évoqué la possibilité de recourir au vaccin russe. La Hongrie a même commencé à l’utiliser en février et sans attendre une décision de l’AEM. Début mars, le chancelier autrichien, Sebastian Kurz, se disait également partant.
La controverse s’est poursuivie en mars. Une entreprise italo-suisse Adienne Pharma & Biotech basée à Lugano a alors annoncé la fabrication du Spoutnik V sous licence dès cet été dans son usine se trouvant près de Rome. Les 10 millions de doses qui y seraient fabriquées par année seraient destinées à vacciner les Italiens ou à l’exportation hors de l’UE si l’AEM ne lui accordait pas de feu vert.
Quelques jours auparavant, Christa Wirthumer-Hoche, la présidente du conseil d’administration de l’AEM, avait comparé le déploiement de Spoutnik V à la «roulette russe» sur une chaîne de télévision en Autriche. Selon elle, celui-ci était déconseillé en raison de données insuffisantes pour les personnes vaccinées. Le ton était donné. Les Russes ont demandé qu’elle se rétracte.
L’AEM est revenue à la charge vendredi dernier par le biais d’EUobserver, un journal en ligne financé par des fonds communautaires. Celui-ci a révélé que quatre personnes seraient décédées en Russie après qu’on leur a inoculé le Spoutnik V. Six autres auraient connu des complications. Le régulateur européen a non seulement confirmé la nouvelle; il a aussi ajouté qu’une enquête était déjà en cours.
Le match de ping-pong s’est poursuivi ce week-end. La Roszdravnadzor, l’agence russe de surveillance du médicament, a rassuré l’EUobserver en précisant qu’aucun décès n’avait été noté à la suite d’une inoculation du Spoutnik V. Selon elle, le nombre d’effets indésirables ne dépasse pas 0,1%. A cet effet, le journal fait remarquer que l’opacité et le manque de données habituels en Russie mettent en doute les affirmations de Moscou.
Christa Wirthumer-Hoche, la présidente de l’Agence européenne des médicaments, a comparé le déploiement de Spoutnik V à la «roulette russe»
En attendant une décision européenne, la Russie connaît un faible taux de vaccination alors que le pays a enregistré plus de 100000 décès
Ce n’est pas tout. L’annonce mercredi dernier du ministre allemand de la Santé, Jens Spahn, évoquant la possibilité de s’approvisionner en Spoutnik V a irrité de nombreux responsables européens. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a aussitôt reproché à la Russie d’en faire un outil de propagande. Dimanche, c’était au tour du secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, Clément Beaune, de déplorer un «coup de communication» pour des raisons électorales en Allemagne.
En attendant la décision de l’AEM, la Russie elle-même connaît un faible taux de vaccination alors que le pays a enregistré 4,59 millions d’infections au Covid-19 et 101000 décès. Selon un décompte du Financial Times, seulement 3,7% de la population, soit 14 millions de personnes, avaient reçu une première dose au 10 avril. En revanche, Moscou se targue d’exporter ses vaccins dans 13 pays.
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