Une campagne au coût encore incertain
Impossible de savoir combien coûteront vraiment les autotests. La Confédération les paie 12 francs, mais leur coût réel est tenu secret par Roche
Arrivés dans les pharmacies mercredi dernier, les autotests constituent le troisième pilier de la stratégie de tests annoncée par le Conseil fédéral au mois de mars. Pour assurer que l’ensemble de la population suisse puisse avoir accès aux cinq autotests gratuits promis chaque mois, une importante logistique a été mise en place.
«La semaine avant Pâques, nous avions un stock d’environ 8 millions de tests acheminés dans les pharmacies pour les remettre à la population dès le 7 avril, détaille Martine Ruggli-Ducrot, présidente de PharmaSuisse, l’association faîtière des pharmacies. Roche achemine actuellement 25 millions de tests supplémentaires et s’est engagé à fournir à peu près un million de tests quotidiennement par la suite.» Ces autotests sont produits en Corée du Sud par le partenaire de Roche, SD Biosensor.
Selon la présidente de PharmaSuisse, les livraisons ont pris du retard. Ce week-end, certaines officines n’étaient pas en mesure de fournir cinq tests à leurs clients. «Les pharmacies sont livrées deux à trois fois par jour, ce qui permet de reconstituer les stocks assez rapidement pour autant que les grossistes aient reçu la marchandise de Roche», précise-t-elle. Actuellement, l’ensemble de cette stratégie complémentaire repose sur le produit de l’entreprise pharmaceutique suisse, qui est le seul à avoir été validé par Swissmedic et l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Cet autotest est utilisé dans d’autres pays, notamment en Allemagne. «D’autres tests devraient être validés par Swissmedic et l’OFSP durant le mois», précise Martine Ruggli-Ducrot.
Un coût qui en vaut la peine?
Mais, alors que l’efficacité sur le plan épidémiologique de ces tests est remise en cause, se pose aussi la question du coût de cette campagne. «Le gouvernement fédéral rembourse au maximum 12 francs pour les autotests. Ce qui comprend le prix d’usine, une surtaxe sur ce prix à titre de déduction de frais pour les pharmacies et la TVA au taux de 7,7%», détaille Jonas Montani, porte-parole de l’OFSP.
A raison de 12 francs par autotest, soit 60 francs les cinq, le budget prévu pour la campagne de dépistage permettrait d’en fournir gratuitement aux 8,5 millions d’habitants pendant environ cinq mois. Il s’agit d’une durée théorique puisque la somme allouée pour la stratégie de dépistage s’élève à environ 2,4 milliards de francs pour l’année 2021. Le 31 mars dernier, le Conseil fédéral a débloqué un montant supplémentaire de 1,154 milliard venu s’ajouter au 1,279 milliard prévu dans le budget ordinaire. Mais ce montant est celui de la campagne de tests dans son ensemble (tests PCR, tests rapides, tests en entreprise…) et pas uniquement les autotests.
Eviter les abus
Pour obtenir les autotests financés par la Confédération, il suffit de présenter sa carte d’assurance maladie. Ce sont les assurances qui facturent à la Confédération le prix des tests et se font rembourser chaque trimestre le coût de la campagne. Elles sont aussi chargées de s’assurer que chacun reçoit bien ses cinq tests gratuits par mois et pas plus.
Si une personne devait en avoir retiré plus, les tests supplémentaires lui seraient facturés. Mais ce contrôle s’effectue a posteriori. «Les caisses maladie ne peuvent pas contrôler en direct si une personne a déjà reçu ses cinq tests, précise Martine Ruggli-Ducrot. Les pharmaciens peuvent vérifier si un client est déjà venu mais rien ne l’empêche de se rendre dans une autre officine.»
Un prix de vente inconnu
Pour l’instant il n’est pas possible pour une personne qui souhaiterait obtenir plus de cinq autotests par mois d’en acheter. Selon l’OFSP, à terme, d’autres canaux de vente que les pharmacies pourraient être autorisées. «Les autotests ne sont pas vendus parce que nous n’avons pas encore 40 millions de tests et qu’il faut que toute la population puisse avoir ses cinq tests», précise Martine Ruggli-Ducrot. Le prix de vente de ces tests n’est donc pas encore connu.
Pour sa part, Roche, contacté par le Temps, affirme que le tarif sera fixé «de manière responsable». La firme refuse de communiquer le coût de fabrication de son produit et le prix auquel il est actuellement facturé dans le cadre de la campagne de dépistage. «Ce que l’on constate globalement, c’est que même lorsqu’il y a des aides publiques qui entrent en compte, on ne connaît pas le prix des tests, qu’ils soient PCR, salivaires, autotests, etc., souligne Patrick Durisch, expert politique santé de Public Eye. Mais des études en France ont montré que les tests PCR sont largement surfacturés, et des tests rapides covid sont vendus quatre fois plus chers aux pays en développement que ceux pour dépister la tuberculose, alors qu’il s’agit de la même technologie. Dans ce domaine aussi, la pharma entend profiter de la crise.»
Cette opportunité entraîne aussi des dérives puisque la Commission de la concurrence (Comco) a ouvert la semaine dernière une enquête sur une éventuelle entente sur les prix des autotests pour le Covid-19 des marques Joinstar, Hotgen et Lysun par trois distributeurs. Aucun de ces tests n’a pourtant encore été validé pour la pratique du dépistage à domicile. Pour autant, selon Olivier Schaller, vice-directeur de la Comco, le cadre de la campagne ne devrait pas favoriser les ententes sur les prix: «Les entreprises n’ont pas besoin de s’entendre en pareille circonstance car chacune aura tendance à demander le prix remboursé, sachant qu’aucune n’a vraiment intérêt à fixer un prix moins élevé.»
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