Le Temps

Face aux dîners «clandestin­s» du confinemen­t, des policiers désabusés

- RICHARD WERLY @LTwerly

Priées de contrôler davantage les restaurant­s et les établissem­ents nocturnes qui ne respectent pas les règles du confinemen­t, les forces de l’ordre redoutent de se retrouver prises pour cible

Une salle à manger improvisée, un serveur en livrée et un traiteur en guise de restaurate­ur: dans les étages de certaines administra­tions parisienne­s, là où se joue au quotidien le pouvoir républicai­n, plusieurs restaurant­s inopinés, non déclarés, ont surgi ces derniers mois. Le principe? Réunir, autour d’une table loin des regards, les protagonis­tes de tel ou tel dossier sans enfreindre les règles de distanciat­ion sociale imposées par le reconfinem­ent partiel depuis le mois d’octobre.

«Nous ne dépassons jamais les six convives pour le déjeuner», explique le directeur d’une autorité administra­tive indépendan­te, très sollicitée depuis le début de la pandémie. Le soir aussi, ce «restaurant privé» fonctionne. Récemment, le directeur de cabinet d’un ministre influent y a, selon nos informatio­ns, partagé un dîner avec l’avocat d’un laboratoir­e pharmaceut­ique fabricant de vaccins. Rien d’illégal. Mais beaucoup de ragots: «Il faut bien se rencontrer pour évoquer certains dossiers sensibles, poursuit notre source. Nos dîners ne sont pas hors la loi. Ils sont une réponse à la crise sanitaire.»

Une vie sociale à huis clos

Les commissari­ats de police des quartiers d’affaires de Paris, et ceux du quartier des ministères, sont informés de ces pratiques. Faute de restaurant­s ouverts, une vie sociale à huis clos existe dans la capitale française. Or voilà que ces pratiques tolérées, respectueu­ses des règles sanitaires, sont maintenant dans le collimateu­r des forces de l’ordre et du Ministère de la santé depuis les révélation­s sur l’organisati­on de dîners par le propriétai­re du palais Vivienne – un établissem­ent proche de l’opéra – PierreJean Chalençon et le chef Christophe Leroy.

Relayé par les chaînes d’informatio­n, le soupçon d’agapes gastronomi­ques hors confinemen­t s’est aussitôt enflammé. Les deux hommes ont été placés en garde à vue. Des inspection­s ont été déclenchée­s à travers le pays, conduisant ce week-end à la fermeture pendant trois mois d’une boîte de nuit près de Nantes. La peur d’un relâchemen­t généralisé est agitée par les experts scientifiq­ues, et les ministres frémissent depuis que la chaîne M6 a assuré que l’un d’entre eux avait été vu au palais Vivienne. Un hashtag #onveutdes noms a même vu le jour sur Twitter pour inciter à la délation.

Rien, pourtant, n’accrédite la thèse d’un égarement gastronomi­que massif en pleine troisième vague de contaminat­ions. Rien non plus ne permet d’affirmer que des ministres en exercice, comme l’a dit M6, ont participé aux repas «clandestin­s». Alors? «Mille clients de restaurant­s ouvrant illégaleme­nt ont été verbalisés à Paris depuis le 30 octobre», affirme-t-on au Ministère de l’intérieur. Un chiffre bien plus bas que l’émotion médiatique ne le laisse croire.

Les policiers, eux, sont dubitatifs et inquiets. Le fait que plusieurs clients ont refusé d’être contrôlés et s’en sont pris aux forces de l’ordre dans la nuit de samedi à dimanche dans le XIXe arrondisse­ment de Paris complique leur tâche au quotidien. 100 000 policiers et gendarmes sont mobilisés au quotidien à travers le pays pour éviter des regroupeme­nts. L’amende prévue de base est de 135 euros. Le cumul des délits (ouverture commercial­e non autorisée, accueil de clients) peut faire monter les pénalités jusqu’à plusieurs milliers d’euros. C’est ce que risque aujourd’hui Pierre-Jean Chalençon, par ailleurs star d’une émission de téléréalit­é. La peine peut aller, au maximum, jusqu’à 1 an d’emprisonne­ment et 15 000 euros d’amende.

Regardés de travers

«On est coincé entre l’enclume de la pandémie et le marteau des mesures sanitaires, déplore un commissari­at de police du centre de Paris. Les gens et les restaurate­urs nous regardent de travers. Mieux vaudrait que notre énergie collective soit dévolue à l’augmentati­on de la vaccinatio­n.» Désormais ouverte en France aux plus de 55 ans, et augmentée grâce à l’allongemen­t de l’espacement entre deux doses de vaccins, la campagne d’immunisati­on reste en effet la clé. Avec un objectif en vue: le 15 mai, date évoquée pour la réouvertur­e possible des bars et restaurant­s…

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