Face aux dîners «clandestins» du confinement, des policiers désabusés
Priées de contrôler davantage les restaurants et les établissements nocturnes qui ne respectent pas les règles du confinement, les forces de l’ordre redoutent de se retrouver prises pour cible
Une salle à manger improvisée, un serveur en livrée et un traiteur en guise de restaurateur: dans les étages de certaines administrations parisiennes, là où se joue au quotidien le pouvoir républicain, plusieurs restaurants inopinés, non déclarés, ont surgi ces derniers mois. Le principe? Réunir, autour d’une table loin des regards, les protagonistes de tel ou tel dossier sans enfreindre les règles de distanciation sociale imposées par le reconfinement partiel depuis le mois d’octobre.
«Nous ne dépassons jamais les six convives pour le déjeuner», explique le directeur d’une autorité administrative indépendante, très sollicitée depuis le début de la pandémie. Le soir aussi, ce «restaurant privé» fonctionne. Récemment, le directeur de cabinet d’un ministre influent y a, selon nos informations, partagé un dîner avec l’avocat d’un laboratoire pharmaceutique fabricant de vaccins. Rien d’illégal. Mais beaucoup de ragots: «Il faut bien se rencontrer pour évoquer certains dossiers sensibles, poursuit notre source. Nos dîners ne sont pas hors la loi. Ils sont une réponse à la crise sanitaire.»
Une vie sociale à huis clos
Les commissariats de police des quartiers d’affaires de Paris, et ceux du quartier des ministères, sont informés de ces pratiques. Faute de restaurants ouverts, une vie sociale à huis clos existe dans la capitale française. Or voilà que ces pratiques tolérées, respectueuses des règles sanitaires, sont maintenant dans le collimateur des forces de l’ordre et du Ministère de la santé depuis les révélations sur l’organisation de dîners par le propriétaire du palais Vivienne – un établissement proche de l’opéra – PierreJean Chalençon et le chef Christophe Leroy.
Relayé par les chaînes d’information, le soupçon d’agapes gastronomiques hors confinement s’est aussitôt enflammé. Les deux hommes ont été placés en garde à vue. Des inspections ont été déclenchées à travers le pays, conduisant ce week-end à la fermeture pendant trois mois d’une boîte de nuit près de Nantes. La peur d’un relâchement généralisé est agitée par les experts scientifiques, et les ministres frémissent depuis que la chaîne M6 a assuré que l’un d’entre eux avait été vu au palais Vivienne. Un hashtag #onveutdes noms a même vu le jour sur Twitter pour inciter à la délation.
Rien, pourtant, n’accrédite la thèse d’un égarement gastronomique massif en pleine troisième vague de contaminations. Rien non plus ne permet d’affirmer que des ministres en exercice, comme l’a dit M6, ont participé aux repas «clandestins». Alors? «Mille clients de restaurants ouvrant illégalement ont été verbalisés à Paris depuis le 30 octobre», affirme-t-on au Ministère de l’intérieur. Un chiffre bien plus bas que l’émotion médiatique ne le laisse croire.
Les policiers, eux, sont dubitatifs et inquiets. Le fait que plusieurs clients ont refusé d’être contrôlés et s’en sont pris aux forces de l’ordre dans la nuit de samedi à dimanche dans le XIXe arrondissement de Paris complique leur tâche au quotidien. 100 000 policiers et gendarmes sont mobilisés au quotidien à travers le pays pour éviter des regroupements. L’amende prévue de base est de 135 euros. Le cumul des délits (ouverture commerciale non autorisée, accueil de clients) peut faire monter les pénalités jusqu’à plusieurs milliers d’euros. C’est ce que risque aujourd’hui Pierre-Jean Chalençon, par ailleurs star d’une émission de téléréalité. La peine peut aller, au maximum, jusqu’à 1 an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.
Regardés de travers
«On est coincé entre l’enclume de la pandémie et le marteau des mesures sanitaires, déplore un commissariat de police du centre de Paris. Les gens et les restaurateurs nous regardent de travers. Mieux vaudrait que notre énergie collective soit dévolue à l’augmentation de la vaccination.» Désormais ouverte en France aux plus de 55 ans, et augmentée grâce à l’allongement de l’espacement entre deux doses de vaccins, la campagne d’immunisation reste en effet la clé. Avec un objectif en vue: le 15 mai, date évoquée pour la réouverture possible des bars et restaurants…
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