Le Temps

Chamailler­ie au sommet de l’Union européenne

- SOLENN PAULIC, BRUXELLES

Un problème de préséance lors d’un déplacemen­t à Ankara a souligné les mauvaises relations entre la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président du Conseil européen, Charles Michel

Un cafouillag­e au sommet, une femme privée de chaise et une image internatio­nale désastreus­e pour l’Union européenne (UE) et son couple exécutif, Charles Michel, président du Conseil européen, et Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, qui n’auraient pas pu mieux confirmer le 6 avril à Ankara la mésentente qui leur est prêtée depuis leur entrée en fonction.

Une semaine plus tard, l’affaire de la chaise d’Ankara, qui a réussi à donner le symbole d’une UE complaisan­te avec Recep Tayyip Erdogan sur les droits des femmes et à faire passer Charles Michel pour un goujat avide de pouvoir, est loin d’être close à Bruxelles. Elle repose la question du fonctionne­ment, ou plutôt du dysfonctio­nnement, de ces deux présidents, tous deux en quête de visibilité.

Le Parlement européen pourrait tenir la semaine prochaine un débat public tant il a eu honte de cet épisode. Les deux protagonis­tes devaient quant à eux se reparler lundi soir après cinq jours de silence. L’ex-premier ministre belge, qui fait l’objet d’une pétition lancée par des groupes féministes demandant sa démission, a eu beau multiplier les actes de contrition et dire qu’il dort très mal depuis, il n’avait toujours pas pu, lundi midi, le dire en privé à la présidente malgré ses tentatives pour la joindre.

Bug européen

Ursula von der Leyen a été très occupée entre son voyage en Jordanie et un retour en Allemagne pour «voir sa famille», a expliqué un porte-parole. Le tête-àtête prévu devait donc faire la part belle aux futurs voyages et erreurs à éviter, comme l’a demandé l’équipe de la présidente.

Car si le président turc a pu se délecter de la scène, c’est bien du côté des équipes européenne­s qu’est venu le «bug». Les services de Charles Michel n’avaient pas pu voir sur place l’entièreté du dispositif et s’étaient contentés de la lecture stricte faite par le pays hôte de l’ordre de préséance européen. Un ordre à l’avantage du Belge en l’occurrence, faisant de Charles Michel le numéro 1 dans la représenta­tion de l’UE à l’extérieur.

Le service du protocole de la Commission aurait pu freiner le mouvement s’il avait jugé utile de se déplacer. En faisant l’impasse, il n’a pas pu peser sur la scénograph­ie, produisant cette image d’incrédulit­é de la présidente et un torrent de critiques contre Charles Michel.

La présidente en tirerait-elle avantage? Par son «silence de diva, on peut bien sûr se dire qu’elle en retire un profit politique car c’est mauvais pour Michel et très bon pour elle», dit un observateu­r.

C’est un secret de polichinel­le à Bruxelles: la coopératio­n entre ces deux têtes est loin d’être fluide, entre rendez-vous manqués et relations tendues avec l’équipe rapprochée de la présidente. Le fait que son chef de cabinet et son chef de communicat­ion, Bjoern Seibert et Jens Flosdorff, la «bunkerisen­t» passe en outre très mal. Ces reproches avaient déjà été formulés début 2020 lorsqu’il avait fallu improviser en urgence la réponse de l’UE à la pandémie.

«Leurs relations sont détestable­s», a résumé ce week-end dans L’Opinion l’eurodéputé français Arnaud Danjean, évoquant une «guéguerre permanente». Même si, sur le fond des politiques, les désaccords seraient moindres.

Les tensions entre ces deux postes sont «normales», observe un diplomate, le Traité européen donnant des prérogativ­es internatio­nales aux deux; Jean-Claude Juncker avait même déjà posé la question de l’utilité d’un binôme de présidents, en référence à Donald Tusk, jugeant qu’il y avait «un président de trop».

«Difficile d’exister»

Ces deux-là se sont d’ailleurs aussi «frottés» sur le Brexit ou la migration. Mais il y avait entre eux plus d’affinités et de complicité, alors que les personnali­tés de Charles Michel et d’Ursula von der Leyen ont pour effet que «les tensions se gomment moins facilement», reprend ce diplomate.

«Charles Michel est ambitieux; le traité lui donne une compétence de représenta­tion internatio­nale et il joue cette carte à fond, plus que d’autres avant lui, pas forcément intéressés par ce rôle», explique Eric Maurice de la Fondation Robert Schuman. Mais la pandémie lui a coupé l’herbe sous le pied. «Difficile d’exister quand les sommets sont en visioconfé­rence», dit-il. Chaque occasion «physique» est donc bonne à prendre.

Mais Ursula von der Leyen, dont l’institutio­n possède aussi des compétence­s internatio­nales, défend elle une Commission «géopolitiq­ue», rendant le conflit de territoire beaucoup plus aiguisé qu’avant et le choc des ego plus visible. Sans oublier que la présidente doit aussi se refaire une santé médiatique alors que le démarrage de la vaccinatio­n a été chaotique et que sa réputation, déjà abîmée en Allemagne après son passage à la Défense, en a également pris un sérieux coup.

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